Qui dit Courbet (1819-1877), dit "L'Origine du monde", ce tableau de nu sans tête qui fit scandale, quelques autoportraits très expressifs et beaucoup de paysages du Jura. On connaît aussi l'homme, grand amateur de liberté, de femmes et de nature, Républicain engagé, accusé d'avoir fomenté la destruction de la colonne Vendôme à Paris. On sait encore que pour échapper à une amende exorbitante, le peintre s'était exilé en Suisse, à La Tour-de-Peilz, où il est mort.
L'histoire de l'art a "oublié" ses dessins
On sait beaucoup de choses sur ce peintre franc-comtois dont on fête cette année le bicentenaire de la naissance, mais très peu sur un autre de ses talents: le dessin, que la critique, autant que l'histoire de l'art, a peu pris en considération. La cinquantaine de dessins exposés au Musée Jenisch, à Vevey, permet de reconsidérer l'artiste et son oeuvre à l'aune de cette découverte. L'exercice est particulièrement probant avec sa série d'autoportraits, prélude à quelques-unes de ses toiles les plus fameuses.
Une oeuvre en train de se construire
Cette exposition nous renseigne aussi sur la conception par étape de ses tableaux. Par exemple sur "L'Enterrement à Ornans", oeuvre de grandes dimensions jugée "triviale" et "vulgaire" lors de sa présentation au Salon de la peinture de 1850. Cette toile monumentale deviendra le manifeste du réalisme, dont Courbet était le chef de file.
Le dessin préparatoire montre des personnages en frise qui se dirigent vers le bord à gauche. Sur la toile, le trou béant est au centre et au premier plan, ce qui dramatise considérablement la scène. Autre détail: sur le dessin, les personnages sont des bourgeois d'Ornans, sur le tableau, ce sont des paysans.
Un fin stratège
A la fois carnets de route, préparations aux peintures et oeuvres à part entière, sa pratique du dessin était plurielle. "C'était un moyen d'apprendre, de fixer des scènes, des personnages, des paysages pour élaborer un répertoire de motifs", dit Pamella Guerdat, conservatrice adjointe Art moderne au musée Jenish.
Le dessin était aussi une manière de faire la promotion de sa peinture, en reproduisant quelques-unes de ses toiles dans des albums illustrés. Pionnier de l'autopromotion, Courbet aimait "faire la réclame" comme il le disait. Mais son habileté notamment au fusain, était remarquable. Sur le portrait ci-dessous, sa technique est même d'avant-garde. Courbet a entièrement noirci sa feuille avant de faire ressortir son dessin par gommage - peut-être de la mie de pain - puis de repasser avec le fusain pour certains contours.
Un autre dessin, "La Source de la Loue" témoigne d'un Courbet plus onirique, à la technicité très subtile: "Pour signifier l'eau et son jaillissement sur les rochers, il utilise la hampe de son pinceau et gratte le papier jusqu'à faire apparaître ses fibres" précise Pamella Guerdat.
Ce dessin rappelle surtout le profond attachement de Courbet pour les paysages de son enfance. Ce Jura de forêts et de rivières, de petits montages et de cascades, constitue une très grande partie de son oeuvre. "Pour peindre un paysage, il faut le connaître. Moi, je connais mon pays, je le peins" disait-il.
Pour comprendre l'importance de ce motif, le Musée jurassien dʹart et dʹhistoire expose "Gustave Courbet. La peinture et le territoire", une exposition à voir jusquʹau 1er mars.
Propos recueillis par Florence Grivel
Texte et adaptation web: Marie-Claude Martin
"Courbet. Les dessins", au Musée Jenisch, jusqu'au 2 février.
"Gustave Courbet. La peinture et le territoire", au Musée jurassien d'art et d'histoire, jusqu'au 1 mars.