"Before Time Began", aux origines de l'art aborigène contemporain

Fondation OPALE [OMAIRE - Olivier Maire]
Lʹart contemporain aborigène a sa fondation / Nectar / 53 min. / le 25 novembre 2019
Avec pour essence l'harmonie entre l'humain et la terre, l'art aborigène australien délivre un message plus que jamais d'actualité. L'exposition "Before Time began" est à voir à la fondation Opale à Lens (VS) jusqu'à fin mars 2020.
"Kulata Tjuta: Kupi kupi", oeuvre collaborative de 84 artistes aborigènes exposée à la Fondation Opale lors de l'exposition "Before Time Began". [Fondation Opale - Sébastien Crettaz]
"Kulata Tjuta: Kupi kupi", oeuvre collaborative de 84 artistes aborigènes exposée à la Fondation Opale lors de l'exposition "Before Time Began". [Fondation Opale - Sébastien Crettaz]

A l'intérieur du centre culturel de Lens, le bâtiment moderne qui abrite la fondation Opale, une installation impressionnante se tient sur deux étages: un tourbillon de lances et d'autres objets symboliques. "Kulata Tjuta: Kupi Kupi", autrement dit les "lances nombreuses", compte plus de 1500 lances fabriquées par 84 artistes différents. Elles tournent encore et encore, accompagnées d'objets en bois traditionnels et de photos.

La nature au cœur de l'art aborigène

Faire le lien entre l'art aborigène d'aujourd'hui et l'art occidental, voilà le but de l'exposition "Before Time Began", mise sur pied par la Fondation Opale qui s'engage à promouvoir l'art aborigène en Europe. C'est Bérengère Primat, propriétaire d'une importante collection d'art aborigène et présidente de la fondation, qui a investi le centre culturel valaisan de Lens, moderne et lumineux, pour y faire vibrer les témoignages vivants de la plus ancienne civilisation connue qui subsiste de nos jours. A l'origine destiné aux cérémonies religieuses, l'art aborigène est entré dans sa phase contemporaine au début des années 1970.

Au milieu des œuvres aborigènes, une installation vidéo mise sur pied par l'artiste suisse Pipilotti Rist – à l'origine notamment du tram rose à Genève –, nommée "Berg Elle", met à l'honneur la nature brute et la géologie. Elle s'accorde avec le reste des oeuvres, dont le centre de la pensée est la connexion intime entre l'humain et la terre.

Lorsqu'ils peignent, les artistes peuvent vous dire deux choses différentes pour décrire la même image: "voici mon territoire, le pays de mon père", ou "voici mon autoportrait". Pour eux, les humains appartiennent à la terre, ils ne font qu'un.

Bérengère Primat

Des artistes parfois manipulés

En 2019, la situation sociale et économique des artistes aborigènes en Australie est toujours mauvaise. Il existe cependant une centaine de centres d'art dans les communautés les plus reculées, à la manière de coopératives. Gérés par de jeunes diplômés en école d'art, ces centres permettent aux artistes et à leurs familles de vivre et de financer leurs communautés: les jeunes artistes les aident à vendre leurs œuvres dans des galeries ou des musées, et mettent à disposition toiles et peinture.

Pour acheter des œuvres aborigènes, mieux vaut passer par ces centres d'art plutôt que commander directement auprès de l'artiste. Bérengère Primat s'explique: "La provenance de l'art aborigène est très importante. Souvent, l'artiste qui fait de la vente directe est une personne en difficulté qui pourrait être en réalité manipulée par quelqu'un qui a une galerie d'art. La situation est assez complexe. Les centres d'art sont des lieux sûrs où les artistes sont payés correctement et garantissent une éthique." Malheureusement exploités par certaines galeries, les artistes aborigènes peuvent en effet se retrouver forcés de travailler pour un salaire indigne.

Des statues aborigènes dans l'exposition "Before Time Began" à la Fondation Opale à Lens. [Fondation Opale - Olivier Maire]
Des statues aborigènes dans l'exposition "Before Time Began" à la Fondation Opale à Lens. [Fondation Opale - Olivier Maire]

Une manière de se faire accepter en Australie

En gagnant de la notoriété à l'étranger, l'art aborigène gagne en prestige et permet à la communauté de s'émanciper: "Pour eux, c'est important de montrer leurs œuvres à l'étranger, peut-être même plus qu'en Australie", explique Bérengère Primat. "Ils se rendent compte de cette difficulté à être accepté en Australie. Le fait de montrer leurs œuvres à l'étranger leur permet d'être acceptés chez eux."

Pendant longtemps, les artistes aborigènes ne se rendaient pas compte que leurs œuvres pouvaient s’exporter à l’étranger.

Bérengère Primat

"Kulata Tjuta" - l'installation comprenant 1500 lances - est comme une tornade qui emporte sur son passage les objets symboliques de la vie traditionnelle aborigène. Un tourbillon qui peut changer de direction à n'importe quel moment. Quelle direction la société aborigène va-t-elle prendre dans le monde d'aujourd'hui? La question reste ouverte.

Isabelle Carceles/ms

BEFORE TIME BEGAN, Aux origines de l’art aborigène contemporain, Centre d'art de Lens/Crans-Montana (VS), jusqu'au 29 mars 2020.

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