"Si je le regarde d'ici, c'est un Monsieur avec un chapeau, mais si je regarde d'ailleurs, c'est un lapin. J'aime bien, c'est rigolo, original". Les enfants aiment les oeuvres de ce grand magicien de l'illusion qu'était Markus Raetz. Artiste complet et figure majeure de la scène internationale, il vient de sʹéteindre à 79 ans, des suites d'une longue maladie.
Né le 6 juin 1941 dans le canton de Berne, Markus Raetz fait partie de l'avant-garde bernoise avant de développer, dès 1966, son propre langage plastique. À la fois peintre, sculpteur, photographe et poète, l'artiste laisse une œuvre atypique où l’économie des moyens (fils de fer, feuilles, banches, cailloux, etc.) déstabilise les formes avec autant de maîtrise et que de malice. Grand voyageur, il a vécu en Pologne, en Hollande, en Egypte et dans le sud de la France, ces dernières années. De chacune de ces destinations, il ramenait un savoir-faire, des matériaux ou une nouvelle technique.
Maître de l'anamorphose
Très tôt, Markus Raetz concentre ses recherches en dessin et en sculpture sur les changements formels du passage de la 2D à la 3D. Lorsqu'il inclura le mouvement, il parlera de 4D, cette dimension qui permet la transformation et l’instabilité des formes, à l'image de ce grand "OUI" qui devient "NON", et vice-versa, que l'on peut voir sur la place du Rhône à Genève.
Au centre de ses recherches: la présence du regard, la relativité du réel et la déformation de la perception pour dire autre chose que ce que lʹon voit de prime abord. Lʹartiste qui avait représenté la Suisse à la Biennale de Venise en 1988 était passé maître de l'anamorphose, ce procédé qui déforme la représentation des objets par rapport aux règles de la perspective ordinaire.
Artiste polymorphe
"La notion de jeu est importante chez lui. Il n'y a pas d'un côté le travail et de l'autre, les loisirs. De même, ses livres d'esquisses sont équivalents aux grandes oeuvres qu'il a faites. En désacralisant la notion de l'oeuvre, il est profondément transgressif. C'est un artiste en perpétuel état d'éveil", disait de lui en 1976 Jean-Christophe Ammann, conservateur du Kunstmuseum de Lucerne dans l'émission "Clés du regard" qui lui était consacrée.
Dans ce même reportage, on voit l'artiste travailler la matière de ses mains élégantes et même sculpter, rien que pour l'émission, un Goliath en pierre minuscule, une technique qu'il avait apprise des artisans égyptiens.
Toujours ce même plaisir à surprendre, à transformer le réel, à s'amuser des intitulés. La modestie et la gentillesse de l'homme étaient inversement proportionnelles à la puissance poétique de son oeuvre, une des plus importantes de ces dernières décennies.
Marie-Claude Martin