Pendant une douzaine d'années, à raison d'une heure en plein air par jour, Fernando Oreste Nannetti (1927-1994) a rédigé son histoire sur les murs de l'asile psychiatrique et judiciaire de Volterra en Toscane, où il était enfermé. Son outil? Un ardillon, cette petite pointe des ceintures qui permet d'entrer dans les trous. Le crépi de ce complexe hospitalier - fermé en 1980 et laissé depuis à l'abandon - se couvrait alors de déclarations biographiques, auto-fictives, parfois futuristes. Guidé par ce qu'il appelait un " fluide magnétique cathodique", Nannetti traduisait ce qu'il recevait par télépathie. Nannetti s'attribuait le titre de "colonel astral".
Oeuvre déchiffrée
Monumentale, son oeuvre fait 70 mètres de long sur un mètre de haut. L'écriture paraît hermétique; les mots rappellent l'alphabet étrusque, les phrases, sans ponctuation, peuvent être lues à l'endroit ou à l'envers, elles sont souvent entrecoupées de dessins. Cette oeuvre a pourtant été déchiffrée par deux hommes: Aldo Trafeli, un infirmier qui avait réussi à établir une relation avec son patient, et Pier Nello Manoni qui a photographié page par page ce livre mystérieux à ciel ouvert qui le fascinait tant. Leur travail a permis à la Collection de l'Art Brut à Lausanne de consacrer en 2011 une rétrospective à l'oeuvre magistrale de ce confiné qui s'est fait la belle par sa gravure de fortune.
Risque d'effacement
Mais abîmée par le vent, le soleil et la pluie, cette fresque est en train de disparaître. Pour en conserver la mémoire, l'historienne de l'art Lucienne Peiry vient de publier "Le Livre de pierre" aux éditions Allia. "Le mur dressé pour punir, séparer, exclure, devient pour Nannetti un écran sensible, un lieu de liberté créatrice, le support de son délire poétique. Ce travail lui permet de reconquérir son identité qui avait été saccagée et de trouver le seul sens de sa vie de détresse", explique l'historienne de l'art qui constate que Nannetti commençait toujours par créer le cadre, la page, avant d'exécuter ses graffitis.
De la parole à la pierre
Né à Rome en 1927, Fernando Oreste Nannetti est abandonné par son père dès sa naissance. A 7 ans, il est accueilli dans une institution de charité, puis placé dans un établissement psychiatrique pour mineurs jusqu'en 1942. Arrêté en 1956 pour outrage à agent de la fonction publique, il est interné à l'hôpital psychiatrique Santa Maria della Pietà, à Rome. Diagnostiqué schizophrène à 27 ans, il se montre très loquace lors de son internement. Son dossier médical parle de "logorrhées". En 1958, quand il est est transféré à Volterra, véritable enfer concentrationnaire où vivent entassés 4'000 malades, il abandonne le langage verbal pour entrer "dans un soliloque lapidaire" comme l'écrit Lucienne Peiry, et s'inventer une vie par son travail d'écriture.
Il meurt en 1994 à l'Institut Bianchi, toujours à Volterra, à l'âge de 67 ans. Sans famille, tous ses effets personnels sont brûlés. Seules sont sauvées les cartes postales qu'il a écrites et jamais envoyées.
Propos recueillis par Laurence Froidevaux
Adaptation web: Marie-Claude Martin
"Le livre de pierre", Lucienne Peiry, éditions Allia.