Le 5 octobre 2018, une alarme retentit en pleine vente chez Sotheby's à Londres. L'œuvre de Banksy "Girl with Balloon", tout juste adjugée à 1,184 million d'euros, s'autodétruit sous les yeux médusés de l'assistance. La maison d'enchères vient de se faire "bankser".
>> A lire également : Une oeuvre de Banksy s'auto-détruit en pleine vente aux enchères
Qui se cache derrière Banksy, spécialiste des coups d'éclats artistiques? C'est la question que le monde se pose. Le documentaire "Banksy Most Wanted" d'Aurélia Rouvier, Laurent Richard et Seamus Haley revient sur la carrière de l'artiste, de ses débuts dans les années 1990 à aujourd'hui.
Des murs de Bristol…
Ses premiers graffs apparaissent dans les années 1990 dans la ville anglaise de Bristol. Peindre sur les murs est un crime et l'anonymat une nécessité. Il se fait appeler Robin Banks, un premier nom de graffeur qu'il raccourcit plus tard en Banksy. Alors que le graffiti est un médium plutôt confidentiel, l'artiste opte pour la technique du pochoir, qui lui permet de travailler plus vite et de toucher un public plus large.
Dans les années 2000, Banksy passe à Londres. Qui dit capitale, dit davantage de public et d'impact, particulièrement chez les jeunes qui achètent ses sérigraphies pour les revendre sur Ebay. Banksy s'empare d'Internet pour diffuser son travail et toucher une audience de plus en plus large, ce qu'aucun musée n'aurait pu lui offrir.
… à ceux des musées
Mais les murs ne lui suffisent plus: il veut percer le marché de l'art. Entre 2003 et 2005, il réussit à s'infiltrer dans huit musées en défiant les systèmes de surveillance pour y accrocher ses œuvres. "Tout était planifié avec précision et minutie", raconte Steve Lazarides, agent de Banksy de 1997 à 2008.
Une barbe et un imperméable pour entrer incognito dans les musées ou une veste de chantier pour travailler dans la rue: les déguisements permettent à Banksy d'œuvrer en plein jour. Pour maintenir son anonymat, il propage aussi des fake news sur le net, dont certaines ont été reprises par des journaux.
Peindre pour attirer l'attention
Alerter sur les dérives de notre société constitue le fil rouge de l'œuvre de Banksy. En 2001, il attire déjà l'attention sur le mouvement zapatiste du Chiapas au Mexique. En 2005, il est à Gaza pour dénoncer les injustices en Palestine, et ouvre en 2017 à Bethléem le Walled-Off Hotel, un musée-hôtel. Plus récemment, lors de la Biennale à Venise en 2019, il égratigne le tourisme de masse et les paquebots de croisière.
Si tu as quelque chose à dire et que tu veux être entendu, alors tu dois porter un masque.
Banksy révèle ce qu'on préférerait ne pas voir. Il arrive à attirer les médias dans des coins reculés et à faire participer les habitants malgré eux, comme à Port Talbot, à une centaine de kilomètres au nord de Bristol, où une de ses peintures dénonce la pollution de cette cité industrielle.
Le Picasso du 21e siècle
La valeur de ses œuvres suit la même courbe que sa notoriété. Certains y voient l'occasion de se faire beaucoup d'argent. Le premier à avoir enlevé et vendu des œuvres de Banksy est Robin Barton. Le marchand d'art raconte comment il a engagé des ouvriers pour découper "Art Buff", un pochoir figurant sur un mur de Folkerstone, en Angleterre, et l'envoyer dans une foire d'art à Miami, soulevant une vague de protestations de la part des habitants.
Aujourd'hui, Banksy est l'un des dix artistes les plus cotés dans le milieu de l'art contemporain. Il est aussi connu que Léonard de Vinci, Picasso ou Andy Warhol. Mais en jouant le jeu du marché de l'art, l'artiste commence à agacer et certains se mettent à douter de sa sincérité. "Peut-on encore avoir une voix pertinente lorsque l'on s'est autant éloigné du monde d'où l'on vient?" se demande Robin Barton.
Une identité, trois hypothèses
Le journaliste Craig Williams a trouvé des liens entre le chanteur de Massive Attack Robert Del Naja et le street-artist. A plusieurs reprises, une œuvre de Banksy est apparue dans une ville où le groupe anglais s'était produit sur le continent américain, en Europe et en Australie. Lors d'un concert, Robert Del Naja a démenti être Banksy.
En 2010, Banksy sort son film "Faites le mur!" ("Exit Through the Gift Shop"). Un expert financier enquête sur la société de production et remonte jusqu'au nom du fondateur de Gorillaz, Jamie Hewlett. Hewlett n'a fait aucun commentaire à la suite de la publication de son nom.
En 2007, à partir d'une vieille photo, la journaliste Claudia Joseph tombe sur un autre nom: Robin Gunningham. Neuf ans plus tard, un criminologue du Texas se penche sur cette piste et utilise une méthode réservée à la traque des tueurs en série. Ses recherches accréditent la théorie Robin Gunningham.
Alors, qui est vraiment Banksy? Un homme, une femme, un collectif d'artistes? Pour son ancien agent Steve Lazarides, "la dernière chose que les gens veulent, c'est que quelqu'un casse le mythe". Le public en a fait un héros incarnant la désobéissance et l'espoir. Grâce à son anonymat, n'importe qui peut se projeter à travers lui. Comme l'a dit Robert Del Naja, "nous sommes tous Banksy".
Sylvie Ravussin/mh