Les débuts fulgurants du peintre Maurice Denis, théoricien des Nabis

"Amour", c'est le titre d'une exposition rare, la première en Suisse depuis cinquante ans, consacrée à l'oeuvre de jeunesse du peintre Maurice Denis. On la doit au Musée des Beaux-Arts de Lausanne, avec le soutien exceptionnel du musée d'Orsay de Paris et grâce à de nombreux prêts prestigieux. Soit 90 oeuvres pour témoigner de l'oeuvre vibrante de ce peintre qui fut aussi graveur et décorateur, chrétien engagé, ésotérique et très amoureux de sa femme, Marthe, qu'il n'a cessé d'étudier.

"Il n'est pas rare de la voir dix fois sur un même tableau mais dans des activités différentes" précise Catherine Lepdor, conservatrice du Musée des Beaux-Arts de Lausanne et curatrice de l'exposition.

En réaction au matérialisme de son temps, Maurice Denis, qui aspire à l'élévation de l'âme à la manière du moine-peintre du Quattrocento Fra Angelico, entend se libérer de l'exigence réaliste. Avec ses camarades de jeunesse, il fonde le groupe des Nabis ("appelés par l'esprit" en hébreu) à la fin des années 1880.

Ce mouvement pictural post-impressionniste d'avant-garde révolutionnera le monde de l'art pendant 10 ans. Son objectif? Retrouver "la saveur de la sensation primitive" qui se traduit par l'arabesque en aplat, la couleur pure, les harmonies rythmiques et une palette proche des estampes japonaises. Gauguin est leur référence. D'ailleurs, Maurice Denis deviendra l'acquéreur en 1903 de l'"Autoportrait au Christ Jaune" du peintre qu'il admire.

Maurice Denis est le théoricien du mouvement des Nabis. Aux impressionnistes qu'ils jugent trop terre-à-terre, pour ne pas dire bas de plafond, il va opposer une autre vision de son art: la force de la peinture est dans sa réalisation et non pas dans son sujet.

Un tableau avant d'être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées.

On peut lire cette déclaration comme l'une des premières définitions de l'art moderne, libérant la peinture de la représentation mimétique.

Mort de sa femme et nouveau classicisme

Dans ce groupe assez disparate qui comprend aussi Bonnard, Vuillard et Vallotton, Maurice Denis est le plus engagé dans sa foi catholique. L'exposition s'arrête en 1914. Après le décès de sa femme en 1919, le groupe est dissout et Maurice Denis s'orientera vers un nouveau classicisme. "Il fera de grandes décorations murales, sur les traces de Raphaël qu'il a découvert lors de son voyage à Rome avec André Gide", précise Catherine Lepdor. Le peintre mourra le 13 novembre 1943, renversé par un camion. Il avait 73 ans.

Propos recueillis par Florence Grivel

Adaptation web: Marie-Claude Martin