Du "Petit Nicolas" aux centaines de couvertures du New Yorker, les dessins de Sempé sont à la fois hors du temps (pas l'ombre d'un écran ou d'un téléphone portable) et toujours d'actualité. Peut-être parce que cet amoureux du jazz de 88 ans sait mieux que quiconque tourner en dérision, et parfois en déraison, les travers de ses contemporains, leurs espérances et leurs petites vanités. Et que son dessin, délicat et élégant, n'a rien sacrifié de la beauté du monde.
Toujours tendres avec ses petits personnages perdus dans de grands décors, Sempé livre, au fil du temps, une véritable poétique de l'absurde et de la vulnérabilité humaine.
54 dessins projetés dans cinq lieux emblématiques
Les livres et les chats sont deux motifs que le dessinateur affectionne. Ce n'est pourtant pas la raison qui a décidé la Société de Lecture de Genève de choisir Sempé pour réenchanter une ville engourdie par la Covid, lui redonner de la joie et de l'éclat. "Sempé est un auteur à part entière. Il est déjà un classique", explique Delphine de Candolle, directeur de la Société de Lecture qui abrite une bibliothèque de 200'000 livres.
Le projet de monter une exposition avec Sempé remonte à deux ans. "Avec la Covid, l'imaginer entre nos murs n'avait pas de sens. En septembre, constatant que la pandémie allait encore s'installer, nous avons donc décidé, avec Lucie Rihs historienne d'art, de projeter les dessins sur les façades des lieux culturels pour les remettre en lumière", poursuit l'invitée du 12h45 qui a eu carte blanche du dessinateur, via la galerie de Martine Gossieaux qui le représente.
Du 17 mars au 7 avril, chaque début de soirée, 54 dessins de Sempé seront projetés sur les façades de cinq lieux emblématiques genevois: le Grand Théâtre de Genève, le Palais Eynard (côté parc), Uni Bastions, le Mur des Réformateurs et la Société de Lecture.
Pour la première fois, les dessins de Sempé sont montrés de façon monumentale, violentant ainsi la légendaire modestie du dessinateur, roi de la litote. Mais le résultat est bluffant. La ville sous l'égide de Sempé devient souriante, tendre et ironique.
Peur des embouteillages
Si la plupart des façades offre un diaporama en huit ou dix dessins, seule celle du Grand-Théâtre est condamnée à ne projeter qu'une seule - mais différente - image par soir. Une décision de Justice et Police qui craignait que les fondus enchaînés entraînent la distraction des automobilistes et d'éventuels accidents ou embouteillages. Un argument qui ferait le miel de Sempé, toujours prêt à croquer les incongruités de la vie quotidienne.
Propos recueillis par Julie Evard
Adaptation web: Marie-Claude Martin