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A Lausanne, Sandrine Pelletier expose un mystérieux labyrinthe de verre

Vue de l'exposition "The Crystal Jaw" de Sandrine Pelletier au MCBA. [Sandrine Pelletier/© Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne]
Cristaux, miroirs, fumée du temps. / Vertigo / 6 min. / le 15 juillet 2021
L'artiste vaudoise Sandrine Pelletier, prix Gustave Buchet 2021, réalise en collaboration avec le maître verrier Pascal Moret "The Crystal Jaw", une installation de verre spectaculaire. A voir au Musée cantonal des Beaux-Arts à Lausanne jusqu'au 29 août .

Sandrine Pelletier a eu carte blanche au Musée cantonal des Beaux-Arts (MCBA) de Lausanne. Comme à son habitude, elle a imaginé une œuvre sur mesure pour le lieu qui l’accueille.

En 2016, l’artiste lausannoise envahissait la nef de l’église Saint-François avec une forêt de 95 échelles carbonisées. L’année dernière, elle investissait la grange de la Ferme-Asile de Sion en y déposant du bois brûlé et des miroirs qui offraient une sorte de vision inversée de la charpente. Au MCBA, elle s'empare de l'Espace Projet, une grande salle neuve dont la rangée de baies vitrées donne sur la cour du musée.

Un éclat mystérieux et familier

Dans cet endroit, elle décide de dresser des sculptures réalisées en plaques de verre en travaillant avec le maître verrier Pascal Moret. De leur collaboration naissent comme des arbres à éclat ou des miroirs fumés. Plus on se promène au milieu des sculptures, plus on se perd: elles ont comme un effet de dématérialisation, parfois de reformulation d’un espace qu'on perd de vue.

Dehors, selon le soleil du jour, de petits miroirs font ricocher la lumière sur les plaques à l’intérieur de la salle. "Comme un éclat au milieu d’une fumée de champ de bataille", dit à la RTS Sandrine Pelletier. Le visiteur est parfois envahi par une mélancolie qui raconte un monde condamné à disparaître.

Vue de l'exposition "The Crystal Jaw" de Sandrine Pelletier au MCBA. [Sandrine Pelletier/© Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne]
Vue de l'exposition "The Crystal Jaw" de Sandrine Pelletier au MCBA. [Sandrine Pelletier/© Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne]

L'artiste vaudoise connaît bien ce sentiment de déjà-vu universel, qui l'imprègne lors de ses séjours marquants au Caire et au Liban. "On se retrouve dans un taxi, il fait 45 degrés, on ne sait pas où on va, on est perdu, on ne comprend pas ce que dit la personne en face. Et puis il y a ces effets d’éblouissement, de poussière, de patine, on ne voit pas bien à travers les vitres. En même temps, il y a un grand romantisme là-dedans."

Dans le titre de l’exposition, le mot "Jaw" signifie mâchoire en anglais. L’artiste s’est inspirée d’un roman de l’écrivain américain Harry Crews, "The Knockout Artist". "C’est l’histoire d’un boxeur déchu. Pour s’accrocher à la gloire, il se met K.O. lui-même avec une mâchoire de verre qui se déglingue. Au Caire, j’ai rencontré des boxeurs reconvertis dans la verrerie. J’ai donc pu faire quelques parallèles entre les deux métiers: la fragilité du verre et du corps, la persistance et le souffle."

Des constellations microscopiques

Le maître verrier Pascal Moret a déjà travaillé avec Sandrine Pelletier lors de ses expositions passées. "Quand je travaille avec Sandrine, j’essaie justement ne pas faire ce que je sais déjà faire. Chaque fois, elle me pousse à aller plus loin. Au niveau technique, nous avons utilisé des plaques de verre qui sont fabriquées à l’origine pour les plaquettes de microscope. C’est du verre extra-fin, qui fait moins d’un millimètre d’épaisseur et qui est très souple et très cassant. J’ai essayé de travailler avec ce verre, fait pour voir l’infiniment petit, afin d’obtenir un effet similaire à celui d’un microscope."

Massives, les installations sont arrivées au musée en pièces détachées: environ 200 mètres carrés ou deux tonnes de verre. Pour des raisons esthétiques, l’artiste a tenu à fixer les sculptures de la manière la plus légère possible, c’est-à-dire en collant les pièces entre elles. Cette méthode rend les œuvres difficilement démontables: telles quelles, elles ne pourront pas être présentées ailleurs. "À titre personnel, je n’ai aucune envie de voir l’installation disparaître, conclut Sandrine Pelletier. Pourtant, beaucoup de mes pièces sont vouées à l'être".

Propos recueillis par Florence Grivel

Adaptation web: Myriam Semaani

Sandrine Pelletier, "The Crystal Jaw", à voir au Musée cantonal des Beaux-Arts, Lausanne jusqu'au 29 août.

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