Au Japon, le tatouage est une pratique ancestrale, au même titre que l'ikebana (arrangement floral) ou le chanoyu (la cérémonie du thé). Mais c'est à l'ère Edo, au début du 17e siècle, que remonte l'origine de l'irezumi, tel qu'il est encore pratiqué aujourd'hui par des maîtres tatoueurs, les horishi. Il s'agit d'un tatouage qui couvre de larges parties du corps. Seuls les avant-bras, le milieu du torse et l'abdomen sont laissés vierges.
Malgré certains changements dans le procédé, dont la stérilisation des outils ou l'utilisation d'une machine à tatouer électrique pour compléter certaines des lignes de leurs tatouages, les rituels de base, les méthodes et les dessins des irezumi sont restés inchangés depuis des siècles. Pour pratiquer cet art à la main, il faut cinq ans d'apprentissage.
Longtemps clandestin
Littéralement, irezumi signifie insertion d'encre pour décorer le corps. Il s'agit d'une pratique confidentielle - et longtemps clandestine parce qu'interdite jusqu'en 1872- malgré son fort ancrage culturel.
Confidentiel pour de nombreuses raisons. D'abord parce que le tatouage vient d'en-bas, du peuple, des mal famés. Utilisé pendant la période Edo (1603-1868) pour stigmatiser les criminels à vie, il est perçu aujourd'hui encore comme étant un signe d'appartenance aux yakuzas, la mafia japonaise, à la prostitution ou comme un symbole machiste des classes sociales les plus basses.
Le beau est caché
Mais le tatouage est ambivalent. S'il peut avoir mauvaise réputation, l'irezumi est aussi une marque de grand courage, la preuve qu'on supporte la douleur pendant des heures. Pourtant, par cette pudeur propre au Japon, on n'affiche pas ses tatouages, c'est une affaire entre soi et soi, d'où le non-encrage des parties du corps exposées au regard.
Enfin, confidentiel parce qu'au pays du soleil levant, ce qui est beau est souvent caché, comme le dit Horiyoshi III, tatoueur de légende qui a contribué à faire connaître son art dans le monde. "Si vous allez dans un temple, les plus beaux objets sont tout au fond, là on ne les voit pas de prime abord", précise-t-il.
Cinq ans d'apprentissage
De Fukuoka à Nagano en passant par Nara et Yokohama, traversant les saisons avec poésie et contemplation, le documentaire "Irezumi" proposé par la RTS va à la rencontre de ces artisans, dont un fabricant d'encre depuis 16 générations, qui travaillent en milieu très fermé, gardant jalousement leurs secrets.
Si certains horishi ne tatouent qu'à la main, d'autres ont ajouté un dermographe électrique pour être plus précis dans certains motifs. Mais tous évoquent la relation particulière qui s'établit avec leurs clients puisqu'il faut des années pour couvrir un corps.
On n'a pas le droit à l'erreur, c'est le seul métier où l'oeuvre prend vie avant de disparaître avec la mort de l'homme. C'est cet état éphémère, fugitif, qui me fascine.
Hokusai comme source d'inspiration
Virtuoses du trait, de nombreux horishi revendiquent l'héritage de Katsushika Hokusai (1760-1849), peintre et graveur populaire, maître de l'estampe, qui dessinait la vie quotidienne de ses contemporains, le cycle de la nature, mais aussi des scènes épiques en référence à la littérature médiévale. "Le tatouage japonais, c'est la narration du temps, des saisons, de la religion et de la culture japonaise en une seule image", conclut Horiyoshi III.
Marie-Claude Martin
"Irezumi", à découvrir le 25 juillet sur RTSDeux et à voir dès à présent et jusqu'au 24 septembre 2021 sur PlayRTS
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