En plein cœur de Genève, au milieu d'édifices majestueux et classiques, se trouve Uni Dufour, un bâtiment en béton brut dont l'architecture a toujours été controversée. Inspiré par les travaux de Le Corbusier, il a été conçu au début des années 1970 par les jeunes architectes Werner-Charles Francesco, Gilbert Paux et Jacques Vicari, suite à l'incendie de la Maison des Congrès.
Les propos incendiaires du conseiller d'Etat
Le jour même de son inauguration, le conseiller d’Etat en charge des travaux publics de l'époque, Jacques Verney, déclare: "C’est à la vérité un bien pénible devoir pour moi que de remettre à ses utilisateurs le navrant bunker dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui. L’usage, en ce genre de circonstance, est à la laudation et à la congratulation mutuelles, mais il me faut avoir le courage de dire que ce bâtiment est raté."
Son côté forteresse
Des propos qui sont évidemment repris par les médias et qui suscitent de nombreux débats et prises de position entre celles et ceux qui considèrent l'édifice comme une horreur et celles et ceux qui défendent un bel exemple d'architecture moderne. La polémique perdure et le surnom de "bunker" reste.
"C’est l’éternelle association béton brut et architecture militaire, un peu forteresse, avec un côté répulsif qui a marqué les esprits à l'époque", explique Giulia Marino, architecte et experte patrimoine du 20e siècle.
Un concours pour embellir le "bunker"
Vingt ans plus tard, en 1995, une banque privée située juste à côté lance un concours international qui a pour but d'embellir et de décorer les façades d’Uni Dufour. Une manière de transformer un bâtiment accusé de ternir l'image du quartier. Et pourtant à l'arrivée, peu de changements.
"Le jury a retenu deux projets très discrets par rapport au bâtiment d’origine. Les petites diodes lumineuses sur le thème du temps qui passe que l'on voit sur les façades et un projet de végétalisation de tout l’espace extérieur autour du bâtiment qui n’est en réalité que ce qui avait été prévu par les architectes dès le départ, mais qui, pour des raisons de budget, n’avait jamais été réalisé", précise Giulia Marino.
Changement de regard sur le béton brut
Avec le temps, Genève reste divisé sur ce bâtiment, mais finit par s'habituer. Et la ville du bout du lac pourrait même un jour être fière de son "bunker". Depuis quelques années, un nouvel engouement pour le brutalisme - courant architectural qui a pourtant décliné dès le début des années 1980 - est apparu. Désormais, on voit fleurir sur internet et sur les réseaux sociaux, par exemple grâce au hashtag #sosbrutalism, des comptes et des pages qui mettent en avant et permettent de redécouvrir le patrimoine en béton brut autrefois si décrié.
"Je pense qu'Uni Dufour est un bâtiment qu’il faut comprendre et observer avec une certaine attention (...). Le bâtiment, lui, n'a pas changé, mais c'est notre regard de société qui change", conclut la spécialiste du patrimoine du 20e siècle.
Sujet TV: Hélène Joaquim et Marcel Gérardin
Adaptation web: Andréanne Quartier-la-Tente