Le Kunsthaus – rénové et agrandi – est désormais le plus grand musée d'art de Suisse. L'extension de l'institution zurichoise, conçue par l'architecte britannique David Chipperfield, a été inaugurée officiellement début octobre. C'est depuis ce moment-là que les tableaux du controversé entrepreneur, collectionneur d'art et marchand d'armes Emil Bührle sont exposés au Kunsthaus.
Et cela suscite de vives réactions. Dimanche dernier, une trentaine d'historiens ont signé une déclaration pour dire leur indignation. Les signataires sont tous d'anciens membres ou d'anciens collaborateurs de la commission Bergier. Cette commission avait travaillé, à la fin des années 1990, sur ce qu'on a appelé l'Affaire des fonds en déshérence. Ils ont tenté de faire la lumière sur les liens entre la Suisse et le régime nazi.
Il est désormais temps d’exiger de faire le travail que nous n’avons pas pu faire depuis vingt-cinq ans.
Pour ces historiens, exposer la collection au Kunsthaus de Zurich sonne comme un affront aux victimes potentielles des biens pillés durant la Seconde Guerre mondiale. Interrogé par la RTS, Jakob Tanner, l'un des signataires, estime que "la fondation de la famille Bührle n’a pas dit la vérité à l’époque de la recherche de la commission Bergier. Il est désormais temps d’exiger de faire le travail que nous n’avons pas pu faire depuis vingt-cinq ans."
Ce groupe d'historiens exige maintenant que la Ville et le Canton de Zurich poursuivent les recherches historiques autour des origines de cette prestigieuse collection. Il y a un an, une étude de l'Université de Zurich avait confirmé un lien étroit entre les exportations d'armes d'Emil Bührle et sa collection d'art.
Les réponses du musée et des autorités
Après l'indignation de ce groupe d'historiens, le Kunsthaus s'est exprimé dans la presse alémanique. Le musée explique que toutes les archives de la collection Bührle sont accessibles en version numérisée et que le contexte historique qui a permis à Emil Bührle de constituer sa collection est intégré dans le parcours de visite des salles du musée.
Quant à elles, les autorités municipales et cantonales zurichoise ont diffusé un communiqué de presse ce mercredi. Elles estiment que le Kunsthaus doit donner davantage de poids à la provenance des tableaux de la collection dans son exposition permanente et rendre la présentation de cet aspect plus vivante. Pour ce faire, le Kunsthaus doit faire appel à des experts indépendants pour évaluer les recherches menées jusque-là sur la collection. Ce jeudi, la Fondation Bührle s'est pour sa part dite favorable à une expertise indépendante (lire premier encadré).
Sujet radio: Delphine Gendre
Adaptation web: Pauline Rappaz avec ats
La Fondation Bührle favorable à une expertise indépendante
La Fondation Collection Emil Bührle est favorable à une évaluation indépendante de ses recherches sur la provenance des oeuvres d'art installées depuis peu dans le Kunsthaus à Zurich. Elle répond ainsi positivement à la ville et au canton de Zurich qui ont fait cette demande mercredi.
La collection d'Emil Bührle (1890-1956) "est l'une des collections d'art privées les mieux documentées au monde", écrit jeudi la Fondation Collection Emil Bührle. Elle accepte "une évaluation indépendante de ses vingt ans de travail de recherche".
La fondation est "convaincue d'avoir procédé à la clarification de la provenance des oeuvres de la manière la plus complète". Ces recherches ont été effectuées par une spécialiste reconnue qui a travaillé dans ce domaine avec de nombreux musées "d'importance internationale", précise-t-elle.
Collection Bührle
Cette collection d'art, considérée comme l’une des plus importantes du 20ème siècle, est principalement consacrée à la peinture impressionniste et postimpressionniste française, et d’autres représentants de l’avant-garde après 1900. Parmi les toiles célèbres: "Le semeur au soleil couchant" de Vincent van Gogh, "La petite Irène" d'Auguste Renoir, le "Champ de coquelicots près de Vétheuil" de Claude Monet, le "Garçon au gilet rouge" de Paul Cézanne et un "Nu allongé" de Modigliani.
La première donation de Bührle au Kunsthaus est la monumentale "Porte de l’Enfer" d’Auguste Rodin. Depuis cet automne, environ 170 œuvres d’art de la fondation privée Collection E. G. Bührle sont en dépôt au musée zurichois.