Avec sa chevelure bicolore noire et blanche et ses deux bosses de chaque côté du front, ORLAN ne passe pas inaperçue. Il n’est pas rare qu’on l’arrête dans la rue pour prendre un selfie, comme une star de cinéma. Elle a fait de son corps une œuvre d’art, tel un matériau de travail d’une plasticienne devenue icône de la culture contemporaine.
L'artiste française était de passage mardi au Festival Les Créatives pour une conférence intitulée "Ces boulets de canons: beauté, normes, rapports de pouvoir et domination". Un titre résumant bien son travail de ces cinquante dernières années. "Toute mon œuvre est une interrogation du statut du corps dans la société via toutes les pressions, qu’elles soient culturelles, traditionnelles, politiques ou religieuses", précise ORLAN à la RTS.
Être une femme est une calamité, tant biologique que sociétale.
Une évolution paradoxale
En bousculant les normes de beauté, la plasticienne espère inspirer d’autres personnes à le faire. Récemment, la mode et les écrans semblent proposer plus de diversité morphologique. Le mouvement dit "Body Positive" revendique la fierté de son corps tel qu’il est, par exemple gros, maigre, avec des cicatrices ou à mobilité réduite. Cette évolution ravit ORLAN, malgré un long chemin à parcourir: "C’est un pas, mais il n’y a pas vraiment de changements sur les podiums de la mode. Les corps sont toujours squelettiques, et lorsqu'il y a une tentative d’amener plus de diversité, elle est si rare que tout le monde en parle."
Parallèlement à ces phénomènes, l'injonction du corps et du visage parfaits est encore bien présente dans notre société, notamment chez les jeunes: les filtres et autres retouches sur les réseaux sociaux permettent de changer son apparence et la chirurgie esthétique est en plein boum. Une chirurgie qu’ORLAN a détournée de son but initial en se faisant poser des implants sur les tempes. "Ce sont à la base des implants qu’on pose sur les pommettes pour les rehausser. Avec ce geste, je ne cherche pas à apporter de la beauté, mais plutôt de la monstruosité et de l’horreur à mon visage."
Une beauté qui change
À travers cette chirurgie atypique, ORLAN souhaite aussi montrer que "la beauté n’est qu’une question d’idéologie dominante à un point historique et géographique donné." Elle cite l’exemple des membres de la tribu Mursi, vivant au sud-ouest de l’Ethiopie, dont elle a étudié les normes de beauté: "La personne que je présente est une femme sûre d’elle et de sa séduction, souriante et heureuse. Dans cette tribu, géographiquement et historiquement, les femmes portent de très grands labrets. Les hommes les trouvent très séduisants. En revanche, si je me faisais poser un tel labret, je serais immédiatement exclue de ma société, et on ne pourrait même pas imaginer qu’un désir puisse s’exprimer."
Les implants d’ORLAN ont pourtant un effet inattendu: "Souvent, on me dit que je suis belle. Je réponds, ‘mais tu n’as pas vu mes bosses?’. J’ai réussi ma mission: elles sont devenues un organe de séduction!"
La conférence d’ORLAN a porté sur les rapports de pouvoir et de domination qui se jouent à travers le corps. Le mouvement #MeToo aide-t-il à se défaire de ces rapports? "Il fait partie de ces soubresauts de la société. J’ai d’ailleurs été étonnée que les hommes se sentent agressés par le mouvement ‘balance ton porc’ et sa terminologie, alors qu’elle était très claire: nous parlions des porcs. J’adore les hommes qui ne battent pas, ne violent pas, ne tuent pas, ne gueulent pas, et ne sont pas en guerre contre les femmes!"
Propos recueillis par Yan Amedro
Adaptation web: Myriam Semaani