Tandis que la France est encore traumatisée par le massacre de Charlie Hebdo; que le New York Times a décidé en 2019 de mettre fin aux dessins de presse suite à une caricature jugée antisémite; que Xavier Gorce, auteur des "Indégivrables", a démissionné en janvier 2021 du quotidien Le Monde qui a désavoué son illustrateur sur la pression des réseaux sociaux, on se dit que la Suisse reste un Eldorado pour les dessinateurs de presse. "Ce n'est pas le même métier, selon le pays où on le pratique. Dans certains, cela peut valoir l'emprisonnement ou pire. Ici, on jouit d'une grande liberté", explique à la RTS Vincent Di Silvestro qui travaille pour Vigousse et le Courrier.
Deux menaces
Un Eldorado néanmoins menacé par deux facteurs: la disparition des journaux papier et avec elle l'identification de son illustrateur maison - il n'y a plus que trois dessinateurs salariés par leur titre en Suisse romande - mais aussi l'extrême susceptibilité des réseaux sociaux qui, souvent, jugent des images en dehors de leur contexte. "Avant, le dessin était cantonné au papier et s'adressait aux lecteurs de même sensibilité. On le découvrait et on l'oubliait le lendemain. Avec les réseaux sociaux, le dessin tourne plus longtemps et touche beaucoup plus de gens qui peuvent surréagir parce que le dessin ne leur était pas destiné", dit Debuhme, le plus jeune des exposés, venu au dessin de presse par admiration pour Chappatte et Mix & Remix.
La Suisse, un vivier
"La Suisse est un extraordinaire vivier de talents et le public y est sensible. Le pays a un goût prononcé pour l'image, la BD est née à Genève, les Suisses sont de grands lecteurs de presse et les médias ont toujours marqué de l'intérêt pour le dessin", explique Stéphanie Reinhard, directrice de la Maison du dessin de presse à Morges. En témoigne la rétrospective de l'année 2021 qui, forte du succès de l'an passé, a renouvelé son exposition en plein air, dans la Grand-Rue de Morges.
Près de 140 dessins retracent les péripéties du vaccin, de la lutte des femmes et des rencontres au sommet à travers le regard d'une trentaine de dessinateurs et dessinatrices de toutes les régions de Suisse. "Ils s'adressent à tous les publics tandis qu'à l'intérieur de la Maison, les dessins sont plus virulents, difficiles, voire gores", poursuit-elle.
Reportages dessinés dans trois festivals de cinéma
Autre axe de cette rétrospective, les reportages dessinés des envoyés spéciaux de RTS Culture dans trois festivals de cinéma: Wazem qui se mettait en scène à la Mostra de Venise en 2020, Vincent Di Silvestro, plus attaché aux films qu'il feuilletonnait, au festival de Cannes 2021 et Camille Besse, le regard d'une Française sur la Suisse, pour le Geneva International Film Festival (GIFF) à Genève, en novembre dernier.
Leur passage par la Maison du dessin de presse met leurs oeuvres en majesté, notamment par certaines sérigraphies, une autre manière de rendre hommage à un art qui, plus que jamais, a besoin de soutien et d'enthousiasme.
Propos recueillis par Anne-Laure Gannac
Adaptation web: Marie-Claude Martin