Des experts indépendants vérifieront la provenance de la collection Bührle, constituée pendant le nazisme
L'intégration de la collection Bührle dans le nouveau bâtiment du Kunsthaus, inauguré cet automne, a suscité la polémique sur la présentation de sa provenance.
En vendant des armes à l'Allemagne notamment, pendant et après la Deuxième Guerre mondiale, l'industriel Emil Georg Bührle est devenu l'homme le plus riche de Suisse. Il est décédé en 1956.
Sa fortune lui a permis de se constituer une collection d'art qu'il a léguée à la fondation qui la gère depuis 1960. Quelques oeuvres ont été restituées ou rachetées en raison de leur provenance suspecte.
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"Pas une collection d'art nazie"
Des recherches ont abouti à la conclusion qu'Emil G. Bührle a fait, certes, des affaires avec les nazis et gagné de l'argent à travers eux. "Mais il ne nous a pas légué, pour autant, une collection d'art nazie", a souligné mercredi face aux médias le directeur de la Fondation Bührle Lukas Gloor.
Emil G. Bührle ne nous a pas légué une collection d'art nazie
La provenance de la grande majorité des 203 oeuvres concernées est établie sans lacune (détenteurs successifs, lieux de détention et dates des reventes), a déclaré Lukas Gloor, exemples à l'appui. Certaines lacunes subsistent au sujet d'une minorité d'oeuvres, mais rien ne laisse supposer qu'elles pourraient être liées au vol d'oeuvres d'art par les nazis, selon lui.
Experts "pour établir les faits"
Pour en avoir le coeur net, la société d'art du Kunsthaus va mandater un groupe d'experts indépendants pour évaluer si les méthodes de recherches de la Fondation Bührle étaient à la hauteur de leur ambition et si la présentation de leurs résultats est correcte.
Le Kunsthaus répond ainsi aux exigences formulées récemment par le canton et la ville de Zurich.
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Le groupe d'experts va passer les archives de la fondation et de la collection au peigne fin. Ces dernières sont désormais en possession du Kunsthaus.
"Il ne s'agit pas d'établir ce qu'est le bien ou le mal, mais d'établir des faits historiques", a lancé le directeur du Kunsthaus Christoph Becker face aux journalistes. "Dans le meilleur des cas, l'histoire nous permet d'apprendre. Nous acceptons cette mission", a-t-il souligné.
Le Kunsthaus salue, par ailleurs, l'idée que la Confédération soutienne financièrement, techniquement et logistiquement les musées suisses dans le traçage et la restitution d'oeuvres volées. Une motion en ce sens est en cours de traitement par les Chambres fédérales.
ats/vajo
Améliorer la transparence
En outre, la société d'art du Kunsthaus va évaluer si elle est en droit de rendre public tout ou partie du contrat de prêt la liant à la Fondation Bührle, a déclaré son président ad interim Conrad Ulrich. Une telle publication pourrait avoir lieu le mois prochain.
Dès janvier également, le Kunsthaus va améliorer l'accès en ligne à la collection. Le traçage de la provenance des oeuvres, réalisé par la fondation, sera ajouté à cette page internet. Des commentaires basés sur des standards muséaux y seront ajoutés dans le courant de l'année.
La Fédération des communautés israélites critique le Kunsthaus
La Fédération suisse des communautés israélites (FSCI) a vivement réagi à l'annonce du Kunsthaus de Zurich d'examiner de plus près l'origine des tableaux de la collection Bührle (lire ci-dessus). Elle fustige une "conscience historique douteuse" et un "nouveau positionnement peu sensible".
La FSCI trouve cela "irritant et en partie effrayant", peut-on lire dans un communiqué publié jeudi soir, alors que le Kunsthaus de Zurich et la fondation Bührle avaient annoncé la veille la mise en place d'un comité d'experts indépendants.
Lors de la conférence de presse du Kunsthaus et de la Fondation Bührle mercredi, "une présentation en partie très déformée des faits historiques a été présentée", estime la FSCI.
Celle-ci juge difficile à comprendre "l'insistance sur une vision de l'histoire qui ne tient aucun compte des résultats de la Commission indépendante d'experts Suisse-Seconde Guerre mondiale", la Commission Bergier. En font partie, selon la FSCI, les déclarations du Kunsthaus et de la Fondation Bührle qui relativisent le rôle de la Suisse comme importante plaque tournante de l'art spolié et des biens en fuite.
C'est la raison pour laquelle chaque cas individuel doit être examiné quant à sa provenance, tout comme on le fait pour l'art spolié, souligne la FSCI dans sa lettre.
L'exemple de la collection Gurlitt, à Berne
Le Musée des beaux-arts de Berne va conserver 1365 oeuvres sur les quelque 1400 héritées de la fameuse collection Gurlitt dont la provenance a pu être vérifiée.
La Fondation Kunstmuseum Bern a pris cette décision après des évaluations et des clarifications menées par des experts indépendants sur l'origine de ces tableaux.
Il s'agit d'abord de 28 oeuvres d'art dont la provenance a pu être retracée, écartant ainsi la piste d'une éventuelle spoliation par le régime nazi, indique vendredi le Musée des beaux-arts.
L'institution culturelle conserve également 246 oeuvres qui proviennent des membres de la famille Gurlitt ayant exercé une activité artistique.
Le musée conserve 1091 autres oeuvres dont la provenance entre 1933 et 1945 n'a pas pu être formellement établie. Après des recherches, il n'existe toutefois pour ces toiles ni preuve de spoliation par les nazis ni circonstances suspectes.
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