Le Musée dʹhistoire de La Chaux-de-Fonds donne la parole aux enfants du placard
"C'était des jours et des jours enfermés, regardant par la fenêtre les enfants qui jouaient dans la cour du collège. Mon frère avait treize ans. C'était difficile pour lui de ne pas aller à l'école et de rester caché à la maison sans pouvoir sortir."
Ces mots de Maria Belo, fille d'un saisonnier portugais, raviveront des souvenirs chez les anciens "enfants du placard", ces enfants de travailleurs étrangers qui ont vécu dans la clandestinité en Suisse. Le regroupement familial était en effet interdit aux saisonniers, venus en nombre en Suisse à partir des années 1950. Leurs enfants présents sur le sol helvétique ont donc dû vivre cachés, interdits d'école et de vie sociale. Ils sont des dizaines, voire des centaines de milliers, à avoir grandi dans l’ombre. Certains, comme le frère de Maria, ont été dénoncés, expulsés du pays et séparés de leur famille.
Recherche scientifique en cours
Pour son exposition, le Musée d'histoire de La Chaux-de-Fonds s'appuie sur une recherche soutenue par le Fonds national suisse et menée par l’Université de Neuchâtel. L'équipe du musée est elle aussi partie à la recherche d'anciens enfants du placard afin de recueillir leurs témoignages. Non sans difficulté, puisque la clandestinité est difficile à montrer, rappelle Francesco Garufo, conservateur du musée et spécialiste de l'histoire des migrations: "C'est une histoire qui par définition laisse peu de traces. Il fallait trouver les personnes concernées et les faire parler, ce qui était compliqué. C'est une histoire difficile, parfois très dure."
L'exposition veut donc s'inscrire dans les recherches menées actuellement sur le sujet et participer au mouvement de libération de la parole des enfants du placard. Elle retrace aussi la création des écoles clandestines en Suisse romande, à l'instar de l'école Mosaïque fondée par Denyse Reymond à La Chaux-de-Fonds.
Demande de reconnaissance
Au-delà du contexte scientifique, l'exposition répond aussi à une demande sociale. Certains de ces enfants du placard demandent aujourd’hui de la reconnaissance pour cette jeunesse cloîtrée dans l’illégalité. L’association zurichoise Tesoro, créée récemment, exige par exemple une reconnaissance sociale et politique pour les souffrances endurées par les travailleurs étrangers.
Des initiatives émergent aussi dans le milieu artistique: livres et bandes dessinées paraissent sur le sujet, notamment le roman "L’Enfant lézard" de Vincenzo Todisco, paru aux Editions Zoé en 2020. Dans ce dernier, on observe le fils d’un ouvrier italien perdre peu à peu de son humanité à force de se terrer dans l’appartement.
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La clandestinité toujours d'actualité
Bien que le statut de saisonnier ait été aboli en Suisse, la thématique de la clandestinité est toujours aussi importante, estime Francesco Garufo. "La question a beaucoup changé par rapport aux années 1970-80, concède-t-il, mais elle reste d'actualité. Elle pose la question de l'intégration, du regroupement familial; elle nous permet de mieux comprendre l'histoire de l'immigration en Suisse et de réfléchir à l'importance de l'intégration des jeunes migrants et migrantes aujourd'hui, à l'importance de la formation des jeunes adultes."
Charlotte Frossard
L'exposition "Enfants du placard. A l'école de la clandestinité", Musée d'histoire de La Chaux-de-Fonds, jusqu'au 19 mars 2023.
Les saisonniers en Suisse
Après la Deuxième Guerre mondiale, la Suisse traverse une phase de grande prospérité économique. En besoin de main-d'oeuvre, elle permet le recrutement de "travailleurs invités", qui ne sont pas destinés à s’installer durablement. C’est ainsi que va se développer le statut de saisonnier.
Entre 1945 et 2002, les personnes au bénéfice dʹun permis de saisonnier nʹont pas droit au regroupement familial en Suisse. Ces travailleurs précaires se trouvent alors face au dilemme de garder leurs enfants auprès dʹeux clandestinement, de les confier à des proches ou de les envoyer dans des pensionnats situés dans les zones frontières.
Créé en 1931, le statut de saisonnier a été aboli en 2002. Le canton de Neuchâtel est le premier, en 1990, à accepter les enfants sans statut légal dans ses écoles.