Encouragée par Robert Badinter, l'homme qui a fait abolir la peine de mort en France, la photographe Bettina Rheims réalise en 2014 la série "Détenues". Ce projet soutenu par l'administration pénitentiaire française questionne notamment la construction et la représentation de la féminité dans les espaces de privation de liberté. Ces femmes photographiées en prison ont pu s'engager avec la photographe dans une démarche de reconstruction de leur identité féminine et amorcer un travail de restauration de leur image.
"Robert Badinter s'est toujours intéressé aux prisons. [...] Et il a toujours trouvé que lorsqu'on parlait de prison, on ne pensait pas aux femmes. On parlait de radicalisation, on parlait de drogue, mais il n'y avait pas de place faite aux femmes", explique Bettina Rheims interrogée par la RTS. Les femmes représentent environ 5% des détenus en France, souligne la photographe qui précise que des petits quartiers leur sont réservés dans les prisons pour hommes.
Une petite fenêtre sur la féminité
Robert Badinter est revenu à la charge plusieurs fois avec ce projet auprès de la photographe, "Mais j'étais toujours en train de faire autre chose", dit-elle. Avant d'accepter, Bettina Rheims s'est beaucoup documentée, a beaucoup lu. Elle a découvert au fil de ses recherches que les détenues parlaient beaucoup de la perte de la féminité, de l'estime de soi. "Je me suis dis que je pouvais leur ouvrir une petite fenêtre sur leur féminité qu'elles pourraient retrouver l'instant d'une image, l'instant d'une heure passée ensemble", explique Bettina Rheims. Le projet voit finalement le jour et la photographe arrive en prison avec un studio improvisé, du maquillage, des vêtements.
C'étaient des moments incroyables. Je pense que c'est le travail dont je me souviens avec le plus d'émotions. C'étaient des moments d'humanité, des moments de sororité, de complicité incroyable. J'ai eu l'impression d'être à ma place en faisant cela.
Les femmes que Bettina Rheims a photographiées effectuent souvent "des longues peines", c'est-à-dire à partir de neuf ans. "Et quand on a pris neuf ans de prison, c'est qu'on a fait quelque chose de très très grave", précise la photographe.
Avec ses images, elle ne raconte pas les histoires de ces femmes, ne les juge pas. "Il y avait un sentiment d'urgence. Il fallait absolument que quelqu'un regarde ces femmes ou elles allaient s'éteindre", indique encore la photographe. De ces rencontres volontaires sont nées une soixantaine de portraits saisissants à découvrir au festival Images Vevey.
Propos recueillis par Julie Evard
Adaptation web: Lara Donnet
Festival Images Vevey, jusqu'au 25 septembre. Les expositions sont gratuites et ouvertes tous les jours de 11h à 19h.