Le peintre français Pierre Soulages est décédé mardi soir à l'âge de 102 ans, a-t-on appris mercredi auprès d'Alfred Pacquement, ami de longue date du peintre et président du musée qui porte son nom à Rodez (Aveyron/F).
Né en 1919, Pierre Soulages était une figure éminente de l'art abstrait ou art informel. Il avait fait du noir une couleur, un outrenoir comme il l'appelait, tant ses tableaux possédaient une profondeur étonnante en raison de leur facture. Peinture épaisse, striée, vivante, changeante selon l'angle et la lumière, des tableaux monumentaux et vibrants qui ne cessaient de nous interroger: couleur ou pas de couleur?
Du noir à l'outrenoir
"Un tableau, disait-il, doit être présent au moment où on le regarde. Ce que j'aime, c'est la force de sa présence." Il disait aussi que ce qu'il utilisait, "ce n'est pas le noir, mais la lumière réfléchie par le noir. J'ai inventé un mot pour expliquer ce phénomène: c'est l'outrenoir".
Il avait peint sa première toile noire le 14 avril 1979. Depuis, son œuvre a fait le tour du monde, et surtout, il n'avait jamais cessé de travailler.
Un homme de fidélités
Grand, toujours vêtu de noir, Soulages n'a jamais coupé le lien avec son terroir natal, le département méridional de l'Aveyron, tout en peignant ailleurs. C'était un homme de fidélités, à lui-même, aux paysages de son enfance, aux grands plateaux, à sa quête artistique de lumière.
Pendant plus de 75 ans, il a tracé inlassablement son sillon, s'attirant la reconnaissance des institutions culturelles et du marché de l'art. Une de ses toiles de 1961, correspondant à sa période rouge, a été vendue à 20,2 millions de dollars à New York en novembre 2021, dépassant de loin un précédent record.
Un musée qui lui est dédié
En mai 2014 – il a alors 94 ans –, il a le rare privilège d'assister à l'inauguration dans l'Aveyron, à Rodez, sa ville natale, d'un musée entièrement dédié à son œuvre.
Soulages est né le 24 décembre 1919 dans une maison modeste du début du XIXe siècle. Son père, artisan carrossier, meurt alors qu'il n'a que cinq ans. Il est élevé par sa mère qui tient un magasin d'articles de pêche et de chasse.
Très tôt, Soulages dédaigne "les jolies couleurs d'aquarelle" et peint à l'encre des arbres en hiver, des branches dénudées, des effets de neige. Lors d'une visite scolaire à l'abbatiale Sainte-Foy de Conques, toute proche, l'adolescent a une révélation devant la beauté de cette église romane: il sera peintre.
Admis aux Beaux-Arts
Pierre Soulages est admis aux Beaux-Arts à Paris à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Mais il sèche les cours, préférant se former à Montpellier (sud). Il y rencontre en 1941 Colette Llaurens qu'il épouse un an plus tard, muni de faux papiers pour échapper à l'obligation pour les jeunes Français à travailler pour l'Allemagne.
Dès 1947, le jeune peintre s'installe à Paris où il est remarqué par Francis Picabia qui l'encourage, ainsi que Fernand Léger. La peinture abstraite a alors la cote. Mais elle est rouge, jaune, bleue. Soulages, lui, choisit de travailler avec de l'humble brou de noix, utilisé pour teinter le bois, et des brosses de peintre en bâtiment.
L'ami de Rothko
Dans les années 1950, ses toiles entrent dans les plus prestigieux musées du monde, comme le Guggenheim de New York ou la Tate Gallery de Londres. Il rencontre les principaux représentants de l'Ecole de New York, dont Mark Rothko, qui devient son ami.
Les grandes toiles des années 1950 à 1970 témoignent du travail du peintre sur le clair-obscur. Le noir s'affirme dans un rapport à d'autres couleurs comme le rouge ou le bleu, notamment grâce à la technique du raclage.
En 1959, Soulages se fait construire une maison-atelier sur les hauteurs de Sète, près de Montpellier, face à la Méditerranée, où il vivait toujours ces dernières années avec sa femme, elle aussi centenaire. Il avait également deux ateliers à Paris.
"C'est la lumière qui importe"
L'artiste, qui préfère travailler à plat, bascule dans "l'outrenoir" en 1979: alors qu'il peine sur une œuvre entièrement recouverte d'un noir épais, Soulages réalise qu'il vient de franchir un cap en la striant. "J'étais au-delà du noir, dans un autre champ mental", a-t-il raconté. "Le pot avec lequel je peins est noir. Mais c'est la lumière, diffusée par reflets, qui importe".
En 1986, l'Etat lui avait passé commande de plus de cent vitraux pour l'abbatiale de Conques; ils avaient été inaugurés en 1994.
mh avec afp