"Georgia O'Keefe" à la Fondation Beyeler à Bâle
Une des expositions événements du début de l'année 2022, celle dédiée à l'artiste américaine Georgia O'Keefe présentée à la Fondation Beyeler à Bâle. Un must qu'il ne fallait manquer sous aucun prétexte!
On peut comparer le destin de la reconnaissance de cette artiste à celui d'Edward Hopper, avec un effet retard tout de même par rapport à Hopper. Ces deux grands artistes américains contemporains, tous deux nés dans les années 80 du XIXe siècle, vont incarner une peinture américaine qui n'a rien à voir avec la tradition européenne, d'où peut-être cette réception tardive de l'œuvre de Georgia O'Keefe chez nous.
Une oeuvre qui impose un paysage venu d'ailleurs, celui du nouveau Mexique qu'elle découvre dès 1929 et où elle va s'installer dans la deuxième partie de sa vie. Georgia O'Keefe peint ces immenses fleurs soyeuses dans lesquelles le regard se perd, fleurs à la tension érotique vertigineuse avec ses couleurs transparentes et vives. Elle cueille dans le désert des crânes d’animaux qu'elle représente et qui deviennent des sujets à part entière qui se détachent sur ces grands cieux bleus et le brun chocolaté du désert. Elle veut relater des sensations qu'elle éprouve dans cette nature sauvage plutôt que de les imiter. Et surtout, elle incarne l'artiste et la femme libre.
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"Data Romance" au Château de Gruyères
Au printemps, le Château de Gruyères invitait l'artiste suisse romand Grégory Sugnaux à prendre possession de ses salles avec un ensemble d'œuvres créées en résonance avec le lieu. L'exposition s'appelait "Data Romance" et elle a tenu ses promesses.
Un château, ce sont des couches d'époques qui se superposent. L'artiste joue également avec ces couches: au cœur de son travail on trouve l'image ou les images, celles qui déferlent en continu dans nos vies à tout instant, ces images numériques qui ont le pouvoir de nous engourdir, de nous divertir, de nous envahir…
A l'aide d'un logiciel, Grégory Sugnaux puise dans ce flux qui se propage sur le web (photographies anonymes, images de stock ou mèmes) et sélectionne celles répondant à des mots-clés déterminés. Elles deviennent ensuite le sujet de ses peintures. Ainsi, l'imagerie éphémère et fugitive issue de la culture internet se retrouve figée sur les murs de la forteresse médiévale, et cela crée un parcours et un dialogue avec l'histoire aussi troublant que réjouissant.
"Le reflet des mots" à la fondation Michalski, à Montricher
Toujours au printemps, on pouvait prendre un brin d'altitude et se retrouver à la fondation Michalski, à Montricher où l'on célébrait l'œuvre de Markus Raetz, dessins et sculptures de l'artiste suisse alémanique disparu en 2020; un régal irrésistible d'intelligence, de sourire, d'ironie, d'inspiration.
Un exemple? Sur une feuille, un joli arbre du sud, un pin réalisé délicatement à l'aquarelle, sous le dessin, ce titre: "pin peint…". Un jeu de mot, jeu visuel, désarmant, tendre, parce qu'au cœur de ce travail où les mots deviennent matière - dans tous les sens du terme, puisque l'artiste a fabriqué bon nombre de petites sculptures où les mots sont les sujets de l'oeuvre - , il y a toujours la dimension du jeu qui anime ce qu'il fait. Markus Raetz aimait le pouvoir de l'interprétation, celle du regardeur, même s'il nous y aide un peu.
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"Le Miracle d'Helvetia" au centre d'art contemporain de Genève
A l'orée de l'été, se réjouir d'une belle découverte dont on va sûrement encore entendre parler longtemps.
Au centre d'art contemporain de Genève une exposition immersive nous plongeait dans un sanctuaire bien particulier, celui que dresse l'artiste suisso-brésilien Guerreiro do Divino Amor à la Suisse. Rire, être embarqué, trouver beau, apprendre, c'est ce qu'on vivait dans cette exposition vigoureuse.
Il s'agissait du sixième et dernier chapitre du projet de recherche en cours de l’artiste, "Superfictions", chapitre intitulé "Le Miracle d'Helvetia" qui explore les composantes de l'imaginaire collectif et de l'identité nationale suisse.
Cette saga qui était présentée dans son intégralité au centre d'art a débuté à Bruxelles en 2005. L'artiste souhaitait créer un "Atlas Mondial Superfictionnel". Il a combiné sa propre expérience avec l'archéologie numérique, s'est approprié les iconographies, les récits des villes ou pays qu'il avait en ligne de mire, de Bruxelles à Rio de Janeiro. Il a inventé un langage, des scénographies décoiffantes et kitsch pour que l'on goûte à la folie de ses sagas. Atmosphère fantomatique, salles en enfilade, vitraux pop, projections de films pédagogico-givrés, l'univers était irrésistible.
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"Lubaina Himid - So Many Dreams" au MCBA
La fin de l'automne donnait aussi la parole à une artiste attendue, et l'exposition est toujours visible, dépêchez-vous!
Au Musée cantonal de Beaux-arts à Lausanne, une exposition rétrospective - c'est une première en Suisse - de l'artiste Lubaina Himid enthousiasme.
Une exposition puissante, lumineuse, généreuse, festive, profonde, engagée, d'une très grande envergure, réalisée en collaboration avec la Tate Modern de Londres qui offre l'occasion d'un survol passionnant d'une œuvre encore trop mal connue, celle d'une artiste engagée, qui a fait entendre la voix de la communauté noire dans l'Angleterre des années 1980. Il faut attendre 2010 pour qu'elle reçoive l'ordre de l'Empire britannique pour services rendus à la cause des artistes noires. En 2017, elle se voit attribuer le prix Turner. L'artiste est la première personne de couleur à obtenir cette récompense, et est aussi la plus âgée depuis la création de la distinction: elle a alors 63 ans. Aujourd'hui Lubaina Himid en a 68, et elle prouve dans cette magistrale exposition qu'elle a encore beaucoup de choses à dire.
L'exposition du Musée cantonal de Beaux-arts à Lausanne mélange peinture d'une vigueur réjouissante, peinture figurative aux couleurs pétantes, scénographie où des personnages historiques grandeur nature découpés sont mis en scène comme dans un opéra muet. Des installations où la rumeur du ressac nous embarque. Politique, intense, belle, humaniste, cette oeuvre donne de l'énergie et nous engage à nous engager dans nos vies. Un précieux moment d’une profonde vitalité et de réflexions accessibles.
>> A lire : L'engagement par la couleur de Lubaina Himid à découvrir à Lausanne
Florence Grivel/ld