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Une exposition dévoile l'histoire du quartier réservé de Bousbir à Casablanca

Exposition "Quartier réservé" à la Salle d’exposition de l’UNIGE. [Université de Genève]
L'invité: Jean-François Staszak "Quartier réservé" / Vertigo / 35 min. / le 28 décembre 2022
Actif de 1923 à 1955, Bousbir, en périphérie de la ville marocaine de Casablanca, a été construit par les autorités coloniales françaises pour encadrer la prostitution. A Genève, une exposition revient sur le destin de ce Disneyland oriental et sexuel, à la frontière entre ville et camp de travail forcé.

Ancien quartier réservé de Casablanca, Bousbir fut construit sur ordre de l’administration du Protectorat français, qui voulait par cette opération urbaine sans précédent "nettoyer" Casablanca et encadrer la prostitution, principalement au profit des troupes coloniales.

"Ce quartier de prostitution coloniale est fait de briques, de pierre et de céramique, mais a aussi été construit avec des fantasmes érotiques et exotiques propres à l'imaginaire colonial, ceux de l'orientalisme, rappelle à la RTS Jean-François Staszak, professeur au Département de géographie de l'Université de Genève et cheville ouvrière de l'exposition genevoise avec Raphaël Pieroni, co-commissaire. Cet imaginaire a eu des conséquences très concrètes pour les 12'000 femmes qui y ont travaillé entre 1923 et 1955".

Vitrine de l'empire colonial français

L'exposition donne à voir, grâce à une maquette, une représentation du quartier tel qu'il a été construit en 1923. Il s'agit d'un quadrilatère de 160 mètres sur 150, avec un très haut mur aveugle qui ne s'ouvre que sur une seule porte, gardée, par laquelle on entre et on sort de Bousbir.

Casablanca était alors la vitrine de l'empire colonial français et la prostitution de rue y faisait mauvais effet. En concentrant les activités des travailleuses du sexe en périphérie, de manière dissimulée, dans un quartier construit à cet effet, il est plus facile de les encadrer grâce à une réglementation urbaine très contraignante d'un travail vu alors comme un "mal nécessaire".

Une vue de l'exposition "Quartier réservé" à la Salle d’exposition de l’UNIGE. [Université de Genève]
Une vue de l'exposition "Quartier réservé" à la Salle d’exposition de l’UNIGE. [Université de Genève]

Le quartier est donc éloigné de la ville, avec une seule porte et de hauts murs, mais l'intérieur est une féerie. Car l'architecte Edmond Brion, qui a présidé à la construction de Bousbir, est l'un des inventeurs de l'architecture néo-mauresque. "Cela consistait à se servir des éléments décoratifs et architecturaux pour fabriquer des bâtiments, des petits quartiers qui aient cette touche un peu mauresque. Il a construit un quartier qui est un vrai décor des Mille et Une Nuits. On y trouve des fontaines avec des zelliges, des dômes, des arcs, des galeries. C'est très spectaculaire, si bien que le visiteur naïf qui le visite, aujourd'hui comme autrefois, pouvait croire être dans une partie très ancienne de la ville", reprend Jean-François Staszak.

L'endroit était dessiné pour satisfaire les clients potentiels en leur offrant un décor conforme à leur imaginaire, nourri de films et de peintures orientalistes.

Jean-François Staszak, co-commissaire de l'exposition "Quartier réservé. Prostitution coloniale Casablanca 1923-1955"

La cruelle réalité des travailleuses du sexe

Unique au monde par sa taille et par le soin architectural qui a été mis pour le réaliser, Bousbir contraste avec la cruelle réalité des milliers de travailleuses du sexe, cloîtrées et exploitées.

"Enfermées dans le quartier où elles étaient parfois conduites de force, sous l’autorité conjointe des gendarmes et des médecins français, endettées auprès de leur logeuse, leur marge de liberté était très réduite. Plusieurs sources font état des contraintes subies par les travailleuses de Bousbir et de la misère de leur condition", rappelle le guide de l'exposition.

>> A écouter aussi: l'émission "Monumental" dédiée au quartier réservé de Bousbir :

"Quartier réservé. Bousbir Casablanca". [www.georg.ch - Georg Editeur]www.georg.ch - Georg Editeur
Le quartier réservé de Bousbir, Casablanca / Monumental / 56 min. / le 3 avril 2022

Une attraction touristique

Rapidement, Bousbir devient une véritable attraction touristique. L'endroit figure dans les guides de voyage et constitue un joyau de l'administration coloniale. Aujourd'hui, le quartier se visite encore mais les gens qui y habitent n'ont plus aucun rapport avec l'histoire prostitutionnelle.

"En 1955, un an avant l'indépendance du Maroc, les autorités françaises décident de chasser toutes les travailleuses du sexe qui habitent à Bousbir et de fermer le quartier en tant que quartier réservé. C'était devenu une honte internationale que l'Etat colonial soit un état proxénète. Une fois nettoyé et vidé, les Français vont loger à Bousbir les troupes coloniales marocaines qui reviennent de la guerre d'Indochine. Ce sont aujourd'hui leurs descendants qui habitent le quartier", explique Jean-François Staszak.

L'exposition genevoise propose de multiples points de vue sur Bousbir. Au-delà de la description du quartier, proposée notamment à l'aide de la maquette, elle expose le point de vue de ses différents usagers (travailleuses du sexe, clients, touristes, médecins, reporters, artistes) et interroge ce que l'on peut dire ou montrer aujourd'hui de cet endroit. Car la prostitution, hier ou aujourd'hui, demeure un sujet tabou au Maroc. L'exposition, prévue pour être montrée à Casablanca, a d'ailleurs été soudainement annulée la veille de son inauguration.

A lire aussi,  le livre "Quartier réservé: Bousbir, Casablanca", publié sous la direction de Jean-François Staszak et Raphaël Pieroni, éditions Georg.

Propos recueillis par Pierre Philippe Cadert

Adaptation web: Melissa Härtel

L’exposition "Quartier réservé. Prostitution coloniale Casablanca 1923-1955" est proposée par le département de géographie de l’Université de Genève en collaboration avec la Haute école de travail social de Genève (HETS-HES/SO) et le Centre Maurice Chalumeau en sciences des sexualités de l'UNIGE. Elle se tient dans la Salle d’exposition de l’Université de Genève, 66 boulevard Carl-Vogt, jusqu'au 20 janvier 2023.

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