Le rôle essentiel des champignons pour la préservation de la biodiversité et pour la médecine, grâce à leurs étonnantes molécules, fascine depuis quelques années le photographe vaudois Mario del Curto. Son exposition conjointe avec la sculptrice allemande Nele Gesa Stürler, nommée "Liber&Fungi", ou "écorce et champignons", met en avant la perception du vivant des deux artistes.
En 2019 déjà, Mario del Curto avait mis la nature à l'honneur avec "Humanité végétale", un projet et livre abordant notamment la question du rôle des champignons dans l'agronomie. "C'est à ce moment-là que j'ai rencontré Katia Gindro, responsable du département de mycologie agroscope à Changins. Elle m'a expliqué le rôle du champignon dans le vivant à travers des aventures mycologiques. Elle m'a contaminé avec un champignon mystérieux!" plaisante Mario del Curto lorsque la RTS lui demande l'origine de sa passion pour les mycètes.
Le lien entre la nature et les champignons
Pour "Liber&Fungi", Mario del Curto présente des photos issues de sa série "Un monde sans fin". Les champignons y sont photographiés de près, au sol. Ils ne sont pas représentés de manière précise. Le traitement des couleurs et la lumière mettent les spectatrices et les spectateurs face à une œuvre d'art de la nature.
"Ce qui m’intéresse, c'est de trouver un langage où la forme, la structure, la nature et l'existence du champignon nous ramènent au vivant. Je ne cherche pas de langage moléculaire, mais plutôt un visuel qui nous relie à ces formes scientifiques, précise Mario del Curto. J'ai l'impression que les formes du vivant des règnes animal, végétal et minéral se retrouvent dans les champignons."
Comment choisit-il les champignons à photographier? "Souvent, lorsque j'en vois un, j'ai l'impression qu'il fait référence à la culture d'une ethnie, un totem, une expression ou un sentiment. À partir de cette interprétation visuelle, je choisis de faire la photographie", répond Mario del Curto.
Éviter le côté naturaliste
Techniquement, le photographe préfère travailler avec peu de matériel. "J'ai une toute petite lampe que j'utilise parfois. Comme la lumière vient du ciel, il y a de l'ombre sous le chapeau des champignons. Cela est parfois très compliqué, surtout lorsqu'on est à plat ventre sur une pente et qu'on glisse. Je trouve aussi intéressant de les extraire de leur milieu pour les photographier en studio et quitter le côté naturaliste, un peu trop attendu dans la photo de champignons."
Parmi les photos de l'exposition, une guêpe recouverte d'un duvet de plumes. En y regardant de plus près, il s'agit d'un champignon capable de prendre le contrôle du corps des insectes. "J'ai pris cette photographie avec un ami près de chez moi, dans une caverne. Pour se reproduire, certains champignons se nourrissent de la chair des insectes. Ils colonisent leurs muscles, mais pas leurs cerveaux. Lorsqu'ils atteignent le stade de reproduction, ils dirigent l’insecte en altitude avant de le paralyser. L'insecte se crispe et les spores sortent de son corps. Heureusement, les champignons ne sont pas encore capables de guider les humains de cette façon!" plaisante Mario del Curto.
Chrysalides
Cette exposition montre aussi le travail de la sculptrice allemande Nele Gesa Stürler. Tristement surprise du nombre de personnes vivant dans la rue à Paris, elle avait évoqué la situation de ces personnes avec le photographe vaudois avec qui elle a déjà partagé une exposition en 2021. Mario del Curto soulignait alors que la forme des sacs de couchage lui rappelait des chrysalides.
Ainsi est née la série "Chrysalides", mettant en avant des statues découpées à la tronçonneuse dans du bois massif et polies avec du papier de verre, présentée lors de l'exposition.
Propos recueillis par Pierre Philippe Cadert
Adaptation web: Myriam Semaani
"Liber&Fungi", à voir jusqu'au 23 avril 2023 au Musée du Jardin botanique de Lausanne.