Nous sommes en 2016. Marco Bischof, le fils du célèbre photographe suisse qui gère ses archives depuis des années, retrouve plusieurs boîtes datant des années 1940, avec des centaines de négatifs sur plaques de verre, au format 6,5 x 9 cm. Pour chaque photographie, il y a trois négatifs, apparemment identiques. En réalité, ces plaques de verre ont des intensités différentes, comme les couches d'une même image, dont la superposition donne la photographie en couleur.
Il faudra la science de Rolf Veraguth, photographe et expert en technique photographique, et le patient travail de Ursula Heidelberger, du Laboratorium de Zurich, pour reconstituer les images présentées en ce moment à Lugano au Musée d’Art de la Suisse italienne.
Des images stupéfiantes
Membre de l'agence Magnum, Werner Bischof a pris ces photos entre 1939 et 1949 à l'aide du Devin Tri-Colour, un appareil très coûteux pour l'époque, qui utilise le procédé de trichromie "one shot". Grâce à une optique sophistiquée, l'image est transmise simultanément à trois plaques de verre, chacune d'entre elles enregistrant une seule couleur (rouge, vert, bleu) à travers un filtre. Pour obtenir un tirage couleur, il faut ensuite combiner les informations enregistrées par les trois négatifs. Les photographies visibles à Lugano ont parfois nécessité une vingtaine d'essais avant d'obtenir le tirage parfait.
Et de fait, le rendu et la finesse de ces photographies est extraordinaire, comme le souligne Marco Bischof. "Il y a une magie des couleurs très spéciale. C’est pour ça que nous avons également dans l’exposition des photographies réalisées en Kodachrome et Ektachrome, pour montrer la différence et le caractère de ces images". Réalisées à Zurich à la fin des années 1930, dans l’Europe de l'après-guerre en ruine et jusqu’en Asie, les photographies de Werner Bischof sont prises à l’aide de trois appareils photos différents: un Leica 35mm, un Rolleiflex 6x6, et le fameux Devin Tricolour.
Des archives pleines de surprises
S’il est décédé à 38 ans, Werner Bischof n’en a pas moins laissé des archives qui recèlent sans doute bien des surprises selon son fils: "Cela fait trente ans que l’on travaille sur ces archives, je suis sûr que l’on va découvrir encore de nouvelles choses. Découvrir ces images en couleur, c’était stupéfiant et fascinant. Je suis très curieux de voir comment les historiens d’art vont placer ce travail dans l’œuvre de Werner Bischof, qui jusqu’à présent était un classique de la photo noir et blanc."
Pierre Philippe Cadert/aq
"Werner Bischof - Unseen Colour", Musée d’Art de la Suisse italienne, au LAC de Lugano, jusqu’au 16 juillet 2023.