Une grande rétrospective dédiée au peintre Rothko attire les foules à Paris

A 82 ans, la directrice artistique de la Fondation Louis Vuitton à Paris, Suzanne Pagé, a réussi un coup de maître: réunir dans une seule exposition 115 toiles de l'un des plus grands peintres du XXe siècle, Mark Rothko (1903-1970), en provenance des plus grandes collections muséales du monde entier. Parmi celles-ci la National Gallery of Art de Washington, la Tate de Londres et la Phillips Collection de Washington, ainsi que des collections privées internationales, dont celle de la famille de l’artiste.

"Beaucoup d'oeuvres n'ont encore jamais été montrées nulle part. C'est exceptionnel d'avoir pu rassembler cette collection et ce sera difficile d'imaginer que ces tableaux puissent encore être montrés", indique Suzanne Pagé au 12h45 de la RTS le 18 novembre.

Cette rétrospective, la première en Europe depuis celle du Musée d’Art moderne de la Ville de Paris en 1999 (que dirigeait alors la même Suzanne Pagé), se déploie dans tous les espaces du musée et attire logiquement les foules depuis son vernissage à la mi-octobre.

Un parcours chronologique

Le seul autoportrait de Rothko, qui date de 1936, ouvre l'exposition. L'accrochage évolue de manière chronologique, en partant des oeuvres figuratives de l'artiste vers l'abstraction et les questions essentielles de l'être humain.

Né à Dvinsk (en Lettonie actuelle), dans l'Empire russe en 1903, Marcus Rothkovitch a émigré aux Etats-Unis en 1913. Brillant étudiant, imprégné de valeurs acquises à l'école talmudique, il a intégré l'université de Yale avant de la quitter volontairement et a découvert assez tard sa vocation, dans les années 1930.

Ses premières oeuvres sont consacrées à "la figure humaine - des scènes de métro avec des personnages très isolés et mélancoliques - qu'il prend conscience ne pas pouvoir peindre sans la mutiler", selon Suzanne Pagé.

Contradictions

Suite aux horreurs de la Deuxième Guerre mondiale et en particulier de la Shoah, Rothko et les expressionnistes abstraits se demandent comment peindre encore. Ils s'intéressent aux mythes anciens et croisent l'influence des surréalistes pour inventer de nouveaux mythes fondateurs: naissent alors des oeuvres remplies de totems et de personnages mi-oiseaux, mi-poissons.

"Mon père était plein de contradictions, explique à la RTS Christopher Rothko, le fils du peintre, également co-curateur de l'exposition. Les peintures sont d'une part contemplatives, elles invitent à la méditation. Mais en même temps, l'oeuvre de mon père parle de violence".

Virage vers l'abstrait

La transition vers l'abstraction s'opère dans les années 1946-48 avec les "Multiformes", où des champs colorés sont peu à peu envahis de formes organiques, tendant vers des compositions de plus en plus structurées. Au tournant des années 1950 et jusqu'à la fin de sa vie, il réalise les toiles les plus connues du grand public, dont septante sont exposées à la Fondation Louis Vuitton: "Deux ou trois formes rectangulaires aux bords indéfinis avec des couleurs irradiantes qui infusent entre elles et créent une très grande vibration par une touche atmosphérique et une multitude de strates",  a expliqué à l'AFP la directrice du musée lors de l'ouverture de l'exposition.

La palette de rouges, oranges, noirs et marrons densifiés, associés à des bleus profonds, accentue l'incandescence des tableaux. "La finalité n'était en aucun cas formelle. Rothko cherchait la lumière à travers la couleur, une lumière assez noire car il expliquait y avoir enfermé la violence la plus absolue", a-t-elle ajouté.

Selon elle, il cherchait "à exprimer les émotions humaines fondamentales: la tragédie, la mort, l'extase, une peinture privilégiant avant tout le sens". Ses tableaux invitent à la contemplation et à la méditation, "une expérience intérieure profonde, pour peu qu'on prenne le temps et le risque de regarder à l'intérieur du tableau et de regarder très longtemps".

Des pièces d'exception

L'exposition comprend deux ensembles exceptionnels: une partie de la collection Phillips (Washington DC) consacrée au peintre et neuf des "Seagram Murals", initialement peints en couleurs plus sombres par Rothko pour un restaurant, mais confiés finalement à la Tate Modern de Londres pour respecter l'environnement de leur présentation: lumière tamisée, fond gris et bancs.

Un autre ensemble intitulé "Blackforms", d'une tonalité gris sombre, présente une série d'oeuvres à la limite de la monochromie, où se mêle la présence du Suisse Alberto Giacometti.

Avec le temps, Rothko est parvenu à créer une oeuvre qui parle directement aux émotions avec intensité. C'est ce qui le rend peut-être si fascinant. Ses tableaux convoquent tous les sens pour mieux atteindre l'âme en profondeur.

Sujet TV: Chloé Steulet avec SRF

Adaptation web: mh avec agences

"Mark Rothko", Fondation Louis Vuitton, Paris, du 18 octobre 2023 au 2 avril 2024.