Grand Palais à Paris, 1905: le Salon d'automne bat son plein. Peintures, gravures, dessins d'artistes reconnus et moins célèbres sont exposés au fil de dix-huit salles. Dans la salle VII trône un petit buste d'enfant entouré, sur les cimaises, de toiles hantées de couleurs vives, crues, posées quasiment à même la toile depuis le tube, paysages rouges aux antipodes de la réalité visible. Cette salle va mettre le chaos dans la peinture conventionnelle. On parle d'"orgie des tons purs". Le critique d'art Louis Vauxcelles écrit dans le journal Gil Blas: "C'est Donatello [un sculpteur florentin] chez les fauves". Le mot est lâché: le fauvisme était né.
Le mouvement se caractérise par l'emploi expressionniste de la couleur et les associations chromatiques inhabituelles pour l'époque, qui vont à l'encontre des conventions. Les artistes "cherchent quelque chose de nouveau. Ils travaillent avec les couleurs d'une autre manière, ce qui est un peu choquant pour le public", explique Josef Helfenstein, directeur du Kunstmuseum de Bâle et co-curateur de l'exposition dans l'émission Vertigo du 20 novembre 2023.
Le fauvisme donne le ton
Premier courant dʹavant-garde du XXe siècle, le fauvisme donne le ton pendant une brève période, de 1904 à 1908, dans la métropole artistique quʹest Paris. Son influence en revanche se fera sentir bien plus longtemps et infusera l'oeuvre d'artistes comme Georges Braque, Raoul Dufy ou encore Kees van Dongen, qui rejoindront le mouvement et le transformeront à leur sauce.
La première salle de l'exposition du Kunstmuseum de Bâle met à l'honneur les origines préalables du mouvement. Elle dévoile des scènes d'atelier avec des nus féminins, toiles dans lesquelles les futurs fauves expriment déjà haut et fort cette tendance qui va donner aux couleurs un pouvoir d'expression inouï et dérangeant.
Issus pour certains, comme Matisse, de la classe de Gustave Moreau à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris, ces artistes se rencontrent après les cours pour travailler ensemble face au modèle. C'est lors de l'une de ces séances que Matisse peint "Nu aux souliers roses" en 1900, portrait d'une femme sur fond de couleurs vives.
"C'est un exemple absolument fantastique. L'anecdote raconte que même ses amis étaient choqués. Ils ont décrit cette peinture comme une 'cruauté pour l'oeil', en raison de la façon dont Matisse traite la couleur. L'arrière-plan est totalement inventé; l'atelier était gris et Matisse introduit vraiment un élément d'abstraction complète. C'est vraiment une espèce de pas radical qui annonce les choses qui vont se passer", indique Josef Helfenstein.
Le rôle de Madame Matisse
L'exposition fait également de la place aux femmes: une des salles de l'exposition met à l'honneur les femmes artistes de l'époque telles Emilie Charmy ou Marie Laurencin, mais aussi celles qui ont soutenu le fauvisme comme la galeriste Berthe Weill ou l'épouse de Matisse, Amélie Matisse-Parayre.
Cette modiste talentueuse parvient à gagner de l'argent en ouvrant un magasin de chapeaux qu'elle fait produire au sein d'un atelier. Sans les revenus de cette activité, son mari n'aurait pas pu poursuivre son activité artistique. L'exposition présente aussi des émouvants portraits de famille réalisés par Matisse qui racontent les relations étroites et indissociables qui se tissent au coeur du noyau familial.
Au total, le Kunstmuseum présente 160 oeuvres en provenance du monde entier, dont certaines visibles pour la première fois en Suisse. Plusieurs œuvres majeures d’Henri Matisse, dont "Luxe, calme et volupté" (1904), "La Gitane" (1905), "Le tapis rouge" et "La sieste" (toutes deux de 1906) ainsi qu'un important ensemble sculptural exécuté à ses débuts constituent les temps forts de l’exposition.
Sujet radio: Florence Grivel
Adaptation web: Melissa Härtel
"Matisse, Derain et leurs amis, lʹavant-garde parisienne des années 1904-1908", Kunstmuseum de Bâle, jusquʹau 21 janvier 2024.