Les oeuvres d'art immersif pour vivre une expérience multisensorielle

Grand Format Arts visuels

MCBA - Florence Dizdari

Introduction

Se promener parmi les tournesols de Van Gogh ou vivre les aventures de Tintin dans son décor, c'est possible! Depuis quelques années, des "expériences immersives" promettent de plonger en sons et en images dans les oeuvres d'artistes populaires. Mais l'art immersif est bien plus que cela.

Chapitre 1
Voyage au coeur de l'art

Keystone - Salvatore Di Nolfi

L'expérience immersive de l'art, c'est un des grands phénomènes de ces dix dernières années. Ces événements attirent les foules de tous âges à la découverte de l'art.

Il y a les expositions qui plongent visiteuses et visiteurs dans l'univers d'un artiste du sol au plafond. Il y a aussi celles qui se visitent et se vivent à l'aide d'un casque de réalité virtuelle devant les yeux, permettant de visiter des lieux disparus ou détruits.

Mais l'art immersif, ce n'est pas que cela, car avant l'avènement du numérique, tout un courant surgi au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale propose déjà des oeuvres qui titillent tous nos sens. Une partie de ces oeuvres est à voir au Musée Cantonal des Beaux-Arts (MCBA) de Lausanne (VD) dans l'exposition multisensorielle "Immersion. Les origines: 1949-1969".

Chapitre 2
Immersion, définition

MCBA - Etienne Malapert

L'art immersif, par définition, est un art "qui se fait par immersion, en plongeant quelque chose dans un liquide", précise dans l'émission Vertigo du 28 novembre Florence Grivel, journaliste spécialiste des arts visuels, avant d'ajouter: "C'est pourtant loin d'être une histoire d'eau!"

Mais "immersif", c'est aussi ce qui est "relatif à une expérience qui consiste à vivre dans un pays étranger en respectant sa culture et son mode de vie pendant un certain temps. L'art peut, certes, être un voyage, mais cette définition semble un peu tirée par les langues", sourit la spécialiste. La définition de l'art immersif est à chercher ailleurs que dans le dictionnaire.

"On peut imaginer que cela arrive à la fin des années 1940. Il y a un phénomène extrêmement important: la conquête spatiale. Elle n'a pas lieu que dans l'espace de la galaxie, mais aussi dans l'espace artistique, en témoigne l'oeuvre 'Luna' de Fabio Mauri qui date de 1968. Or à ce moment-là, personne n'est encore allé sur la Lune. Mais l'artiste se dit que grâce à l'art ce voyage est possible", explique dans l'émission Vertigo Camille Lévêque-Claudet, conservateur au Musée des Beaux-Arts de Lausanne et co-commissaire de l'exposition "Immersion. Les origines: 1949-1969".

En 1968 donc, avec son oeuvre "Luna", l'artiste Fabio Mauri offre au public un ressenti possible, une sensation imaginée, une immersion de ce que l'on pourrait potentiellement vivre sur la Lune.

>> A écouter: l'émission spéciale de Vertigo consacrée à l'art immersif :

"Hole in home" de Ferdinand Spindel (1966, reconstruction en 2023). A voir dans l'exposion "Immersion. Les origines. 1949-1969" du MCBA. [MCBA]MCBA
Vertigo - Publié le 28 novembre 2023

Chapitre 3
L'art, immersif par nature?

AFP - Michel Denis-Huot/Hemis.fr

"Mais l'art n'est-il pas immersif depuis toujours?", interroge la journaliste Florence Grivel. Pensez à la Grotte de Lascaux, cette cathédrale de la préhistoire, ornée de fabuleux dessins de chasse. N'est-ce pas de l'art immersif? Et que dire des pyramides égyptiennes et de leurs couloirs couverts de hiéroglyphes? Ou encore des villas de Pompéi où les murs racontent des histoires en mosaïques? Et plus tard, les églises romanes, gothiques, rococo, néo-classiques et leurs décors peints ou sculptés?

Certains monuments, environnements, sont des oeuvres qui nous entourent et sollicitent nos sens, certes. Mais pour d'autres au contraire, il faut faire l'effort de s'immerger. C'est le cas notamment de l'exposition consacrée à l'artiste Mark Rothko à voir jusqu'au 2 avril 2024 à la Fondation Louis Vuitton à Paris. "On n'est pas immédiatement dans l'oeuvre, cela demande une concentration et là, c'est le regard qui part dans l'immersion, mais on ne peut pas toucher, ce n'est pas sonore, on n'est pas environné par l'oeuvre d'art. C'est une forme d'immersion, mais par le regard", indique Camille Lévêque-Claudet.

Pour le conservateur au Musée des Beaux-Arts de Lausanne, beaucoup d'oeuvres sont effectivement immersives. Cependant, comme il le rappelle, certains artistes voulaient tout à fait le contraire. C'est le cas de Gustav Klimt qui souhaitait que l'on reste en dehors de ses tableaux. Ironique, lorsque l'on sait qu'une expérience immersive itinérante lui est consacrée depuis 2018 à travers le monde.

Chapitre 4
Une désacralisation de l'art

MCBA - Etienne Malapert

Pour l'exposition "Immersion. Les origines: 1949-1969", le MCBA a accueilli plus de 20'000 visiteuses et visiteurs en moins d'un mois. "Cela représente à peu près deux fois la fréquentation habituelle du musée", souligne Camille Lévêque-Claudet.

Avec quatorze environnements immersifs, de Lucio Fontana à Judy Chicago, cette exposition est la première à s'intéresser à l'émergence d'une pratique qui deviendra une des modalités d'expression majeure du champ artistique à partir des années 1990.

A Lausanne, les oeuvres ont été reproduites. Pour certaines, le musée s'est basé sur des plans de reconstitution, pour d'autres, il a fallu partir de rien, en se référant parfois à une simple photo en noir et blanc, comme pour l'oeuvre de Ferdinand Spindel, datée de 1966, pour laquelle le MCBA a mené une véritable enquête afin d'en proposer une reconstitution fidèle.

Reconstitution de l'oeuvre "Hole in Home" de Ferdinand Spindel, 1966. [MCBA - Etienne Malapert]
[MCBA - Etienne Malapert]

Plusieurs des artistes exposés au MCBA ont commencé leur carrière avec des tableaux classiques. Mais l'envie d'offrir au public une expérience tridimensionnelle qui ne se limite pas à une expérience visuelle les pousse à envisager leur art sous d'autres formes.

Ces artistes conçoivent alors des installations pensées spécifiquement pour être immersives. Le public n'est plus seulement spectateur, mais acteur de l'oeuvre. "Il y a moins de frontières entre l'art et la vie. Il y a la volonté de faire de l'oeuvre d'art un lieu à vivre", souligne Camille Lévêque-Claudet. L'art immersif permet au public d'entrer dans une relation différente avec l'art, en contact avec l'artiste.

Il y a moins de frontières entre l'art et la vie. Il y a la volonté de faire de l'oeuvre d'art un lieu à vivre.

Camille Lévêque-Claudet, conservateur au Musée des Beaux-Arts de Lausanne

>> A écouter: le sujet de La Matinale consacré à l'exposition "Immersion. Les origines: 1949-1969" :

"Feather Room" de Judy Chicago, 1966 (reconstruction, 2023). [MCBA - Etienne Malapert]MCBA - Etienne Malapert
La Matinale - Publié le 29 novembre 2023

Chapitre 5
L'art immersif pour questionner nos peurs

Keystone - Laurent Gillieron

Si dans son exposition "Immersion. Les origines: 1949-1969", le Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne retrace une partie de l'histoire de l'art immersif, certains artistes contemporains proposent eux aussi des installations immersives. C'est le cas de l'artiste bâloise d'origine kosovare Anita Mucolli qui a conçu une oeuvre comprenant des sculptures en métal et en céramique dans un environnement sonore très angoissant pour son exposition "Purity", à découvrir au Centre d'Art Contemporain (CACY) d'Yverdon-les-Bains (VD) jusqu'au 22 décembre 2023.

Les oeuvres de l'artiste interrogent l'aspiration des êtres humains à transcender les limites biologiques et les relations complexes qu'ils entretiennent avec les animaux dans des environnements extrêmement contrôlés comme les hôpitaux ou les aéroports par exemple.

Dans son exposition, Anita Mucolli a notamment recréé l'environnement aseptisé d'un laboratoire qui aurait été abandonné. Lumière verte et oeuvre sonore accompagnent l'installation de l'artiste pour augmenter les sensations du public dans une mise en scène de notre lutte contre l'angoisse existentielle de la mort.

>> A écouter: le sujet de Vertigo consacré à cette exposition :

L'artiste Anita Mucolli. [Keystone - Laurent Gillieron]Keystone - Laurent Gillieron
Vertigo - Publié le 23 novembre 2023

Chapitre 6
Le business de l'art immersif

Keystone - Jean-Christophe Bott

Au MCBA et au CACY sont proposées des installations ou oeuvres immersives. Mais depuis quelques années fleurissent aussi dans les grandes villes des expositions immersives. Ces expériences proposent de plonger dans l'univers d'artistes stars comme Frida Kahlo, Picasso, Dali, Klimt ou encore Van Gogh à grand renfort d'écrans, de projections, de couleurs saturées et de musiques assourdissantes.

>> A lire aussi : La vie et l'oeuvre de Frida Kahlo sont à découvrir dans une exposition immersive à Lausanne

Sur le marché des expositions immersives, dix grands opérateurs se partagent un juteux gâteau. Culturespaces est le pionnier en la matière. Le groupe français possède dix établissements, dont les fameux Bassins des Lumières à Bordeaux ou L'Atelier des Lumières à Paris. On doit à Culturespaces trente-quatre expositions qui tournent en France et à l'étranger, dont celles consacrées à Tintin, à voir jusqu'au 11 février 2024 à Lausanne.

>> A voir: un sujet de l'émission Couleurs locales sur l'exposition "Tintin, l'aventure immersive" :

L’exposition "Tintin, l’aventure immersive" émerveille les visiteurs du Palais Beaulieu à Lausanne
Couleurs locales - Publié le 24 octobre 2023

En Suisse, il existe un musée permanent de l'art immersif, la Lichthalle MAAG à Zurich, qui propose depuis le 15 novembre 2023 et jusqu'au 28 janvier 2024 une exposition consacrée à Picasso. Côté romand, c'est la société de production Opus One qui s'est lancée sur ce créneau depuis 2013.

"Notre vocation et notre souhait n'est pas de se substituer aux musées, mais plutôt d'offrir des expériences culturelles à mi-chemin entre la culture et le divertissement à un public vaste, et de proposer des projets que l'on ne peut pas voir dans les musées aujourd'hui", précise Vincent Sager, directeur de Opus One dans l'émission Vertigo du 28 novembre.

Chapitre 7
Un spectacle plutôt qu'une exposition

AFP - LI XINYI / XINHUA

Si le public est au rendez-vous lors de ces expériences immersives, certains y voient une instrumentalisation de chefs-d'oeuvre à des fins commerciales et redoutent l'incapacité du public à revenir dans les musées qui ne disposent pas de telles technologies. Mais pour Vincent Sager, ces expositions immersives doivent plutôt s'envisager comme une approche complémentaire à la visite d'un musée plus classique, une porte d'entrée vers des oeuvres ou des artistes qui ne sont pas connus de toutes et tous, notamment des plus jeunes.

La plus-value de ces expériences est bien réelle lorsqu'il s'agit de reconstitutions historiques, comme c'est le cas pour l'exposition consacrée à Toutankhamon en 2013 ou au Titanic en 2014. En revanche, pour Camille Lévêque-Claudet, il en va autrement pour celles relatives à des artistes. "Je trouve que le terme de 'spectacle immersif' serait beaucoup plus approprié, c'est-à-dire que l'on accepte d'annoncer que l'on ne voit pas des oeuvres originales. Une exposition est au service des oeuvres de l'artiste, ce n'est pas le cas de ces expositions immersives là".

>> A voir: l'exposition consacrée à Gustav Klimt dans un sujet du 19h30 de 2018 :

L'oeuvre de Gustav Klimt a été revisitée à Paris à l'heure du numérique
19h30 - Publié le 5 mai 2018

Qu'il s'agisse de spectacles, d'oeuvres ou d'installations, la rencontre avec l'art dans une dimension multisensorielle a le vent en poupe. Culture ou divertissement, l'art immersif permet à chacune et chacun de vivre une expérience tangible extraordinaire et une reconnexion entre le corps, des émotions variées et son environnement.