L'exposition "Couper/Coller" interroge la reconfiguration de la BD à l'ère numérique
"Couper/Coller", à découvrir à l'EPFL à Ecublens (VD), met en lumière la relation intime entre la bande dessinée et ses formats de publication, mais aussi l'intrigant prolongement des modifications manuelles au moyen de colle et de ciseaux dans les transformations contemporaines grâce à l'intelligence artificielle (IA).
L'exposition est issue du projet Sinergia "Reconfiguring Comics in our Digital Era" dirigé par Sabine Süsstrunk, Mathieu Salzmann et Raphaël Baroni et financé par le Fonds national suisse (FNS) de la recherche scientifique. Imaginer le 9e art au centre d'une exposition scientifique, c'est d'abord intrigant, puis cela devient passionnant.
Une histoire qui change de support doit être réinventée
En plongeant dans les histoires éditoriales, l'exposition montre la confrontation entre les outils des IA et des récits classiques des années 1950. La bande dessinée, en tant qu'art graphique, est intimement liée à ses formats de publication. Dans la grande page en couleur d'un album, on ne raconte pas la même histoire que dans un strip en noir et blanc publié dans un quotidien.
Chaque fois qu'une histoire change de support, il faut la réinventer, et avant l'arrivée du numérique, auteurs et éditeurs maniaient ciseau et colle pour recomposer leurs planches, passant du magazine à l'album ou de l'album au format de poche.
Repenser la BD
Repenser la manière de faire de la bande dessinée, d'occuper l'espace ou d'adapter les formats n'a donc rien de nouveau, comme le rappelle dans l'émission Vertigo du 14 décembre Raphaël Baroni, professeur associé de français à l'Université de Lausanne (UNIL), l'un des instigateurs du projet: "La reconfiguration de la bande dessinée commence très tôt, dès le début du XXe siècle, quand les bandes dessinées publiées dans des grands journaux aux Etats-Unis arrivent en Europe. Les éditions Hachette les reconfigurent. Ils enlèvent tous les textes des bulles parce qu'ils ne trouvent pas cela bien, les retapent dans le bas de la page et redistribuent complètement les histoires dans des formats qui n'ont rien à voir avec les originaux".
Mises en page différentes, variation dans les histoires, cases redessinées, changements de supports, habitudes culturelles, mais aussi questions idéologiques, ces adaptations ne se font pas sans peine.
Recherche et exploration
Aujourd'hui, les IA semblent être une opportunité pour la BD de se déployer plus aisément sur de multiples supports. "Ces IA, que l'on a développées du côté de l'EPFL avec l'UNIL, sont capables de détecter les éléments importants de la page", explique Peter Grönquist, ingénieur chercheur à l'IVRL (The Image and Visual Representation Lab) de l'EPFL.
Des intelligences artificielles qui scannent les éléments d'une page de BD pour déterminer comment faciliter la lecture grâce aux mouvements de nos yeux, c'est l'expérience que l'on peut notamment vivre dans "Couper/Coller".
L'exposition montre aussi comment l'intelligence artificielle peut créer, à la commande, des décors de bande dessinée selon un certain nombre de styles répertoriés. Et surprise, il est aussi possible pour le public de se transformer en personnage de BD à partir d'une simple photo et d'un style choisi dans une sorte de photomaton.
L'exposition "Couper/Coller" révèle donc tout le potentiel des IA pour le milieu de la bande dessinée. Un potentiel plus proche de la communication que de l'art pour la journaliste et spécialiste arts visuels de la RTS Florence Grivel. L'IA reste néanmoins un outil, au même titre que le ciseau et la colle et permet, comme le montre l'exposition, de nouvelles explorations et de nouvelles voies possibles pour la BD.
Propos recueillis par Florence Grivel
Adaptation web: Lara Donnet
"Couper/Coller", à voir à EPFL Pavilions, , Pavillon A, Ecublens (VD), du 10 novembre 2023 au 7 janvier 2024.