"Arrêtez le monde, je veux descendre!", "Le gouvernement a plafonné les prix des denrées de première nécessité. Il a mis le bon sens à combien?" Les réparties, mi-ingénues mi-rebelles, de la petite brunette de 5-6 ans au nœud dans les cheveux, sont entrées pour certaines dans le langage courant.
Les questions de Mafalda, tour à tour candides ou incisives, ses critiques de la société, de la politique, des inégalités, des guerres - et des soupes de maman! - parlèrent dans les années 1960-70 aux doutes et aspirations de la classe moyenne argentine à plus de progrès et de justice. Et bientôt à travers le monde et les générations.
Un discours toujours actuel
"Le discours de Mafalda est plus que jamais d'actualité. Son monde est brisé, blessé. Elle nous parle, avec plus de quarante ans d'avance, de ce qui arrive aujourd'hui à la planète", déclare à l'AFP la dessinatrice Maïtena, célèbre en Argentine et à l'international pour sa série "Les déjantées", lors d'un week-end d'hommages à Mafalda à Buenos Aires, centrés autour d'une place à son nom.
Car à 60 ans et bien qu'orpheline depuis quatre ans de son "papa" Quino, décédé en 2020 à 88 ans, Mafalda n'a pas fini de voyager et de se raconter, sous diverses formes.
En statues, en série, en immersif
"Cette petite fille qui prônait la paix, rebelle, contestataire, est un peu un symbole de ma génération", explique à l'AFP Pablo Irrgang, sculpteur officiel de Mafalda, qui inaugurait ce week-end une statue de la fillette à Santiago du Chili. Une dizaine existent déjà à Buenos Aires, Lima, Barcelone, Caracas notamment. D'autres sont prévues à Mexico, Sao Paulo ou Madrid. Le rêve de Pablo Irrgang, qui dit en avoir parlé plusieurs fois avec Quino, est de faire venir une statue de Mafalda à l'ONU. "Dans ses aventures, elle disait qu'elle voudrait être interprète aux Nations unies, pour pouvoir modifier les discours des orateurs afin de faire avancer la paix", raconte-t-il.
Juan Jose Campanella, réalisateur argentin oscarisé en 2009 pour "Dans ses yeux", prépare une série d'animation pour Netflix sous forme d'épisodes de 20-30 minutes, avec pour défi de transposer en "dynamique" des réparties de la brunette habituellement contenues en trois-quatre cases. Et dans un environnement du monde d'aujourd'hui.
Un autre projet en cours est une "Mafalda immersive", où l'on pourra entrer dans l'univers de Mafalda: son appartement, ses parents, ses amis, ses soupes, à l'aide de réalité augmentée et d'hologrammes, notamment. L'exposition multisensorielle et itinérante doit être lancée début 2026 à Buenos Aires, avant de parcourir le monde, indique à l'AFP Damian Kirzner, dirigeant du producteur New Sock.
Une héroïne qui aurait disparu sous la dictature
Mafalda est publiée la première fois en septembre 1964 sous la plume de Joaquin Salvador Lavado dit "Quino". Il avait initialement conçu le personnage pour une publicité d'électroménager qui ne vit jamais le jour. Il la rangea dans un tiroir, jusqu'au jour où un hebdomadaire, Primera Plana, lui demanda s'il n'aurait pas quelque chose pour eux.
L'impact durable de Mafalda - une sorte de cousine, en un peu plus "politique", du héros de bande dessinée américain Charlie Brown, dont Quino dit s'être inspiré - est d'autant plus spectaculaire qu'il ne la dessina que quelques années, de 1964 à 1973, avant de passer à autre chose. Il vécut par la suite en exil en Italie, pendant la sanglante dictature argentine (1976-1983).
Méditant à la fin des années 1980 sur ce que serait devenue Mafalda, Quino estimait d'ailleurs qu'"elle n'aurait jamais atteint l'âge adulte. Elle aurait été parmi les 30'000 morts et disparus" sous la dictature.
En 2014, Quino, décoré à Paris de la Légion d'honneur - peu après son personnage lui-même -, expliquait qu'aujourd'hui comme hier, Mafalda, si elle parlait encore, combattrait "avant tout la stupidité humaine".
ats/ms