André Magnin est galeriste et marchand, spécialisé dans l'art africain contemporain. Il est l'un des principaux artisans et bénéficiaires du succès critique et économique international de Seyni Awa Camara. Il admire sa puissance artistique. Pourtant, il considère lui-même ces récits avec distance. "Elle aurait reçu une formation dans la forêt, elle aurait été nourrie par des singes… Ça paraît, enfin… " Et de poursuivre: "Elle raconte beaucoup de choses, personne ne sait si c'est vrai".
Il n'en a pas moins demandé à la sculptrice Louise Bourgeois, rien moins, d'écrire un texte sur les oeuvres de Seyni Awa Camara. Un texte qui dès le titre, annonce malgré tout la couleur: "Magie noire". Quoi qu'on en dise, l'animisme, les esprits, la fertilité, la maternité et la forêt semblent constituer les tags idéaux pour faire connaître et vendre une artiste subsaharienne, notamment dans la France des années 1980 et 1990: on y apprécie jusque dans la chanson de variété une telle image du continent naguère colonisé.
Quoi qu'il en soit, c'est à André à Magnin que l'œuvre de Seyni Awa Camara doit sa fortune dans le monde de l'art en Occident. La presse a pu l'appeler "faiseur de rois". Et d'une reine.
Son récit de la rencontre avec l'artiste ressemble beaucoup à celui de Michèle Odeyé-Finzi. Mais en marchand, il lui demande si elle pourrait fabriquer des pièces plus grandes. Ce qu'elle fera. En 1989 a lieu à Paris, entre Beaubourg et la Grande Halle de la Villette, une exposition capitale: "Les magiciens de la terre". On y expose des artistes du monde entier et de différentes traditions. Mais on aspire à ne pas y voir de l'art ethnique. C'est de l'art tout court. C'est en soi une nouveauté. André Magnin y fait exposer des pièces de Seyni Awa Camara. On peut les admirer à côté des oeuvres de Louise Bourgeois, qui est déjà à ce moment-là une star de l'art contemporain.
En 2001, une pièce de Seyni Awa Camara est exposée à la Biennale de Venise. "Ça a pris du temps pour que les gens s'y intéressent, commente André Magnin. Mais depuis quelques années, je ne sais pas ce qui se passe, tout le monde la cherche. Enfin, tout le monde, on s'entend!"
En surfant sur Internet et sur les sites de ventes aux enchères, on s'aperçoit facilement qu'il existe aujourd'hui un marché important de ses œuvres. Elles sont toujours vendues par André Magnin. Les grandes pièces somptueuses peuvent se vendre autour de 30'000 euros, explique le marchand. Mais il n'est pas le seul sur ce marché: on les trouve chez d'autres prestigieuses galeries, comme Baronian (Bruxelles), ou Nino Mier (Los Angeles, New York, Marfa, Bruxelles).
A Dakar également, le marchand Pape Samba en présente plusieurs dizaines dans sa galerie. Et lui non plus ne comprend pas comment fonctionne le marché des œuvres de Seyni, à qui il rend régulièrement visite pour aller chercher des pièces: elle devrait vivre dans l'opulence. Cela n'est pas le cas. Pourquoi? "C’est la question que tout le monde se pose", s'exclame Pape Samba.