Le Muséum d'histoire naturelle de Neuchâtel interroge son héritage colonial
En 1838, délégué par le Muséum d’histoire naturelle de Neuchâtel pour enrichir les collections de l'institution, le naturaliste suisse Johann Jakob von Tschudi (1818–1889) part pour le Pérou. A son arrivée, son navire est réquisitionné pour servir la marine péruvienne dans la guerre contre le Chili. Tschudi demeure ainsi cinq ans au Pérou et explore l’intérieur du pays, voyageant de la côte aux Andes. Il ramène à Neuchâtel une collection de plus d’un millier de spécimens, ainsi que des restes humains.
"A cette époque, le Muséum d’histoire naturelle de Neuchâtel, comme d’autres musées en Europe (…), voulait avoir dans sa collection autant d’animaux et de plantes que possible provenant du monde entier. C’est pour cette raison que le musée a commissionné Johann Jakob von Tschudi pour voyager autour du monde", indique Tomás Bartoletti, historien et co-directeur du projet, dans le 19h30 du 3 janvier.
Mais l’histoire naturelle du XIXe siècle ne se limite pas à cataloguer des plantes, des animaux et des roches. "Tschudi, comme d’autres naturalistes, a contribué à la création et à l’instrumentalisation de données pour alimenter des idéologies racistes. Il vole des restes humains sur des sites archéologiques et ramène illégalement en Suisse des crânes, des objets funéraires et des momies", peut-on lire dans le cadre de l'exposition.
Questionner l'héritage
L'institution neuchâteloise questionne aujourd'hui cet héritage colonial dans une exposition intitulée "Nommer les natures". Elle met en évidence l’appropriation du patrimoine naturel par les scientifiques occidentaux, souvent sans tenir compte de l’héritage ou de l’expertise locale.
En parcourant l’exposition, le visiteur découvre des archives, des objets historiques et des œuvres artistiques. Certains spécimens sont cachés derrière un rideau pour préserver les sensibilités. Les tentures signifient que les animaux présentés ont quelque chose de particulier. "Ici à Neuchâtel, c'est clairement la provenance qui dérange un peu. Par contre, pour des cultures d'Amérique du Sud, cela pourrait être l'animal lui-même (…) qui peut avoir une symbolique totalement différente et qui peut être très dérangeante", explique le directeur Ludovic Maggioni.
Comment mieux rendre compte du contexte dans lequel cette collection extraeuropéenne a été acquise? La manière de nommer la nature est-elle un vecteur d’impérialisme? Quelle est la responsabilité du Muséum aujourd’hui? Autant de questions posées dans le cadre de l'exposition dans un nécessaire devoir de transparence. "Le Muséum d'histoire naturelle reconnaît aujourd'hui avoir participé à l'entreprise coloniale en ayant mandaté des gens pour ramener des spécimens (…) Nous acceptons aussi de faire le travail pour essayer de reconstruire cette histoire-là", poursuit Ludovic Maggioni.
Au-delà des recherches de provenance de ses collections, le musée souhaite également développer des projets communs avec l’Amérique latine, et ainsi trouver une forme de réparation.
Sujet TV: Elodie Botteron et Matthieu Oppliger
Adaptation web: mh
"Nommer les natures - Histoire naturelle et héritage colonial", Muséum d'histoire naturelle, Neuchâtel, jusqu'au 17 août 2025.