L’exposition "Évidences du réel" au Musée d’art de Pully ouvre les feux avec cette question: qu’est-ce qu’une photographie? Un reflet de la réalité? Un mensonge? Un agencement du réel? Sinon du papier photographique?
Les deux artistes biennois F&D Cartier collectionnent les papiers photographiques des années 80-90. Dans leurs installations, ils les présentent de telle façon qu’au fil de l’exposition la lumière se dépose de façon aléatoire sur ces papiers qui révèlent une durée plutôt que l’empreinte descriptive du réel.
Dans la sélection proposée, l’exposition collective présente des travaux où les photographes repensent l’image non pas en appuyant sur le déclencheur, mais en en grattant le négatif, découpant, perforant ou oblitérant la photo. Autrement dit, le sujet de la photo est la photo elle-même. Cette dernière témoigne d’une réalité dont l'enjeu n’est pas le visible, mais plutôt une réflexion sur le visible.
La photographie de Hans-Peter Feldmann montre deux fillettes et leurs ombres. Si l’une est reconnaissable, de l’autre ne subsiste que la silhouette découpée, un blanc qui a tout de même une présence et une ombre.
Par là-même, cette image - comme d’autres dans cette passionnante exposition imaginée par la commissaire Pauline Martin - révèle l’ambiguïté permanente de la réalité des objets photographiés.
A l’heure de la déferlante d’images, de la massification des moyens de photographier, certains photographes nous mettent face au vide, à ce qui manque pour peut-être réactiver un nouveau désir de voir et d’élaborer le monde sans passer par les sollicitations pulsionnelles.
Ainsi, Simon Rimaz achète sur e-bay des tirages de photos de presse. À la réception, il prend soin de suivre à l’aide d’un scalpel les marques au stylo qui dessinent le cadrage retenu pour la presse et donne au spectateur une image sans sujet si ce n’est elle-même. De cette frustration face au vide naît un besoin de penser, de compléter, d’imaginer.
Martina Bacigalupo quant à elle, récupère des photos réalisées dans un studio en Ouganda. On y voit les corps des gens, mais leur tête a été coupée. La photographe réalise alors que les têtes coupées le sont pour que ces portraits soient au bon format pour les cartes d’identité. La multiplication de ces photos de gens sans visage est troublante et fait résonner l’histoire récente d’un pays sous dictature.