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L'onde de choc des "Panama Papers" sur le marché de l'art

Ce sont les "Panama Papers" qui ont permis de déterminer le véritable propriétaire de ce Modigliani. [WIKIMEDIA/SOTHEBY'S]
Ce sont les "Panama Papers" qui ont permis de déterminer le véritable propriétaire de ce Modigliani. - [WIKIMEDIA/SOTHEBY'S]
Il y a un an, des journalistes rendaient publics l'affaire des "Panama Papers" et démasquaient un vaste réseau de sociétés écran. Même les marchands d'art faisaient des affaires sous couvert de sociétés offshore.

Les recherches opérées dans le cadre des "Panama Papers" ont révélé que les entreprises écrans étaient aussi très actives sur le marché de l'art. Des marchands peu scrupuleux ont ainsi pu se soustraire à des poursuites pénales, notamment dans des affaires de tableaux volés et plus précisément dans le cas d'un Modigliani disparu.

Les fraudes ne sont pas exceptionnelles dans le monde de l'art, mais un an après le plus gros "leak" de l'histoire, rien n'a vraiment changé.

Les musées enquêtent sur les circonstances d'acquisition des objets culturels. [Keystone]
Les musées enquêtent sur les circonstances d'acquisition des objets culturels. [Keystone]

La toile d'un collectionneur juif

"L'homme assis", tel est le titre du tableau au centre d'un véritable roman policier. A l'origine, la toile du peintre italien Amedeo Modigliani appartenait à un collectionneur juif vivant à Paris.

Après que ce dernier eut fui la ville en 1939, les nazis s'approprièrent l'œuvre. Puis on en perdit définitivement la trace. Soudain, les "Panama Papers" ouvrent une brèche.

>> A lire aussi : Un Modigliani retrouvé à Genève grâce aux "Panama Papers"

"L'Homme assis" réapparaît en 1996 dans une vente publique et c'est une société panaméenne, "International Art Center", qui s'en porte acquéreuse. Le doute s'installe rapidement: derrière elle se cache une famille libano-monégasque incontournable dans le commerce de l'art, les Nahmad.

Mais les héritiers du collectionneur juif ne parviennent pas à prouver que les Nahmad sont bien les propriétaires de la toile... jusqu'à ce que le scandale des "Panama Papers" éclate et que des documents compromettants soient publiés.

>> A voir dans le "19h30" :

Panama Papers: le scandale agite et divise la planète
Panama Papers: le scandale agite et divise la planète / 19h30 / 2 min. / le 4 avril 2016

La justice intervient

Jan Strozyk, journaliste au "Norddeutscher Rundfunk", a contribué à l'éclatement du scandale. Grâce aux données publiées, on retrouve la trace du tableau chez la famille Nahmad au travers d'une société offshore: "Si vous me demandez mon avis de non juriste: la preuve est faite."

La preuve que la famille Nahmad se cache derrière une société offshore pour se soustraire, elle et son Modigliani estimé à 25 millions de dollars, à toute inquiétude juridique.

Des cas comme s'il en pleuvait

Se basant sur ses recherches, le journaliste Jan Strozyk a conclu que ces fraudes ne sont pas des cas isolées dans le monde de l'art. Il pense que parmi les marchands d'art négociant des pièces maîtresses, il est courant de faire appel à des sociétés offshore.

Rien qu'à lui, le journaliste a mis au jour une bonne douzaine de cas. Mais l'établissement des faits est trop flou pour les dévoiler. Ce qui reste clair pour lui, c'est que les constructions offshore offrent de multiples avantages aux marchands d'art.

Une fraude oui, mais pas systémique

Les sociétés fantoches permettent aisément aux marchands peu scrupuleux de se soustraire à leurs responsabilités. Cependant, pour Strozyk, on ne devrait pas surestimer le rôle des paradis fiscaux sur le marché de l'art. "Je ne pense pas que la fraude aux œuvres d'art via des entreprises écran soit systémique", estime le journaliste.

Mais le problème existe, comme le montre le cas du Modigliani. Le scandale des "Panama Papers" a au moins eu un effet concret: les héritiers du tableau ont de bonnes chances de gagner la guerre juridique qui s'est engagée autour de sa propriété.

Si l'on regarde de plus près le monde opaque de la finance offshore, il n'y a pas vraiment eu de réaction propre à compliquer le déploiement de telles affaires, même à l'international.Jan Strozyk, journaliste d'investigation sur les "Panama Papers"

Malgré les mesures prises, le problème demeure

Pour ce qui est des structures fondamentales en matière de paradis fiscaux, le journaliste est plus pessimiste. Certes, des enquêtes sont menées auprès de personnes et de sociétés dans plus de 70 pays et certaines sont sous le coup de sanction. Et de nombreux états renforcent leur législation pour lutter contre les paradis fiscaux.

>> A lire aussi : Perquisition aux Ports francs de Genève dans l'affaire du Modigliani

Les entreprises fantoches continuent d'exister pour brouiller les pistes et cacher argent et œuvres d'art dans des structures opaques.

Katharina Mutz (SRF)/mcc

L'article original a été publié sur SRF Kultur.

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Jan Strozyk

Jan Strozyk travaille comme journaliste d'investigation pour le "NDR" – il est notamment spécialisé dans les paradis fiscaux.

"Un marchand d'art est personnellement inquiété lorsqu'il détient un faux ou une œuvre volée. Mais lorsque cette œuvre appartient à une société basée aux Iles Caïmans ou dans les Iles Vierges, elle peut être mise en faillite ou poursuivie. Pas les marchands eux-mêmes."