Ai Weiwei, activiste de la mémoire

Grand Format

Andreas Johnsen 2010

Introduction

L’artiste et dissident chinois le plus célèbre de la planète de l’art expose 40 oeuvres choc, disséminées dans les cinq musées du Palais de Rumine, à Lausanne.

Star médiatique

Ai Weiwei a aujourd’hui 60 ans. Avant d’être une star médiatique, il aura été joueur de black jack professionnel à New York, éditeur, commissaire d’exposition, sculpteur, barbier et excellent cuisinier. Son travail ressemble à sa vie: multiple, osant tous les genres, aussi contemporain que millénaire.

Au Palais de Rumine, à Lausanne, on découvre ses oeuvres un peu partout, et elles font mouche. Au Musée cantonal des Beaux-arts, sous couvert d’élégant papier peint aussi doré que bourgeois, il nous parle de son emprisonnement et assignation à résidence sous l’oeil des caméras de surveillance. Ailleurs, dans la porcelaine fleurie, il évoque la Campagne des cent fleurs qui, en 56, avait valu à son père poète 20 ans d’exil dans les camps de travail du désert Gobi.

L'installation "Blossom" de l'artiste chinois Ai Weiwei lors de l'exposition "Ai Weiwei. D'ailleurs c'est toujours les autres" au Musée Cantonal des Beaux-Arts à Lausanne. [Keystone - Christian Merz]
L'installation "Blossom" de l'artiste chinois Ai Weiwei lors de l'exposition "Ai Weiwei. D'ailleurs c'est toujours les autres" au Musée Cantonal des Beaux-Arts à Lausanne. [Keystone - Christian Merz]

Au Musée d’archéologie, il glisse au coeur d’une fouille la terrible histoire des milliers d’enfants morts anonymement dans leurs écoles, lors du tremblement de terre dans la province du Sichuan, pour lesquels il avait fait campagne durant deux ans afin de retrouver leurs noms.

>> A voir l'interview d'Ai Weiwei sur sa relation avec la Chine :

Ai Wei Wei évoque sa relation avec la Chine
L'actu en vidéo - Publié le 22 septembre 2017

Il fait encore planer un immense dragon de papier coloré, orné de citations de dissidents célèbres au-dessus des vitrines aux animaux naturalisés du musée de zoologie.

Embrassant toujours d’un même geste politique, activisme et acte de mémoire.

L'installation "With Wind" d'Ai Weiwei au Musée Cantonal des Beaux-Arts de Lausanne. [Keystone - Christian Merz]
L'installation "With Wind" d'Ai Weiwei au Musée Cantonal des Beaux-Arts de Lausanne. [Keystone - Christian Merz]

L’homme connecté

Ai Weiwei est partout. Il parcourt le globe en tous sens, à longueur d’année. Ouvre une expo. Promeut son film sur les réfugiés "Human Flow" sur lequel il a travaillé, avec 200 assistants, deux ans durant.

Il soutient et défend des causes - et la sienne, lors de son emprisonnement en 2011 - sur les réseaux sociaux.

Au milieu des années 2000, internet est sa tribune. Le gouvernement chinois le prive de son site internet? Il passe sur Facebook.

Sa page est fermée? Il part sur Twitter. L’essentiel est de rallier les énergies, les bonnes volontés.

A mots couverts, parfois. En chinois, "alpaga" se prononce comme…  "nique ta mère…", alors l’alpaga devient l’emblème des activistes chinois sur les réseaux sociaux.

Image de l'exposition d'Ai Weiwei au Musée Cantonal des Beaux-Arts à Lausanne. [RTS - Martine Béguin]
Image de l'exposition d'Ai Weiwei au Musée Cantonal des Beaux-Arts à Lausanne. [RTS - Martine Béguin]

L’humanité est déchirée par la guerre, l’indifférence de la douleur de l’autre, par l’égoïsme, la cupidité et la fermeture d’esprit.Ai Weiwei, artiste et dissident.

L’activiste à scandale

Depuis plus de cinq ans, Ai Weiwei prend fait et cause pour les réfugiés. En 2016, il fait scandale en diffusant partout une photo choc: celle où il adopte la pose du petit Aylan Kurdi, retrouvé mort en septembre 2015 sur la plage de Bodrum en Turquie.

Image de l'exposition d'Ai Weiwei au Musée Cantonal des Beaux-Arts à Lausanne. [RTS - Martine Béguin]
Image de l'exposition d'Ai Weiwei au Musée Cantonal des Beaux-Arts à Lausanne. [RTS - Martine Béguin]

Ce combat pour les réfugiés lui prend aujourd’hui presque tout son temps.

Son film "Human Flow" a été tourné aux quatre coins du globe pour parler de l’exil forcé que vivent aujourd’hui 60 millions d’humains, femmes et enfants, privés de soin, d’éducation, d’attention.

Il y voit la trace de notre inhumanité croissante.

Mais, paradoxe, le film est produit par Amazon, une entreprise mise sur la sellette pour les conditions de travail qu’elle impose à ses employés. Une ambiguïté dont Ai Weiwei s’accommode, puisque la cause est bonne.

L’artiste est celui qui peut aller puiser dans le passé pour permettre de construire, dans le présent, un autre futur.

Ai Weiwei, artiste et dissident.

L’homme passerelle

Entre passé et futur, la dimension de la mémoire est frappante dans son travail.

Dès son retour en Chine en 93, Ai Weiwei réalise des oeuvres à partir de matériaux travaillés selon des savoirs faire millénaires: jade, bois anciens et précieux, marbre, porcelaine. Il agence d’énormes poutres, fragments de temples détruits par les bulldozers de la modernité en Chine. Il fait appel aux meilleurs céramistes pour réaliser son tapis de milliers de fleurs de porcelaine blanche. Recrute 1500 artisans qui peignent à la main, une par une, les 10 millions de graines de tournesols qui jonchaient le sol de la Tate Modern en 2010 et qu’on retrouve aujourd’hui, en partie, à Lausanne.

>> A écouter aussi la chronique sur l'exposition d'Ai Weiwei dans "Le 12h30" :

L'artiste chinois Ai Weiwei. [Andreas Johnsen 2010]Andreas Johnsen 2010
Le 12h30 - Publié le 19 septembre 2017

Pour lui, il est essentiel de donner à voir la beauté du travail des artisans, d’offrir tribune à ces arts menacés d’oubli. La jeune génération est, selon lui, en danger d’amnésie. Nous nous devons de lui offrir une histoire, faite de beauté et de terreur, ainsi qu’une conscience politique. On pouvait croire Ai Weiwei grand mégalo, omniprésent dans les médias comme dans son travail. Il se révèle formidable communicateur, étonnamment généreux et humaniste.

L'installation "All Fingers Must Point Down" de l'artiste Ai Weiwei lors de l'exposition "Ai Weiwei. D'ailleurs c'est toujours les autres" au Musée Cantonal des Beaux-Arts à Lausanne. [Keystone - Christian Merz]
L'installation "All Fingers Must Point Down" de l'artiste Ai Weiwei lors de l'exposition "Ai Weiwei. D'ailleurs c'est toujours les autres" au Musée Cantonal des Beaux-Arts à Lausanne. [Keystone - Christian Merz]

>> A voir le reportage sur la rétrospective de Ai Weiwei au MCBA à Lausanne dans "La puce à l'oreille" :

Reportage sur la grande rétrospective de Ai Weiwei au MCBA à Lausanne
La Puce à l'Oreille - Publié le 21 septembre 2017

Texte: Martine Béguin

Réalisation web: Miruna Coca-Cozma

RTS Culture - septembre 2017