Soit la 14e Documenta de Kassel. Pour la première fois depuis 1955, elle s'est déroulée en deux temps et dans deux pays. Athènes au printemps et Kassel en été. Adam Szymczyk, le jeune curateur polonais de la grande exposition quinquennale, l'a voulu ainsi. Avec ses 300 artistes invités exposés aussi bien dans les lieux institutionnels qu'alternatifs, la Documenta a pour vocation de faire résonner l'état du monde contemporain, se distançant de la loi du marché de l'art et de ses idoles.
Palpitant alors au coeur de la double manifestation, les questions concernant les réfugiés et les frontières, la censure, ce que l'on peut apprendre du sud, ou encore la mémoire comme outil de compréhension du présent. Restera notamment le souvenir, à Kassel, de cette oeuvre forte (et spectaculaire): ce Parthénon de papier conçu par l'artiste argentine Marta Minujín, un monument constitué de milliers de livres qui tous ont été l'objet de censure, à un moment de leur histoire, sous un régime ou un autre.
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Pendant ce temps à Venise…
On zappe la biennale, l'édition de cette année étant bien trop acratopège pour faire le poids avec l'oeuvre d'un locataire vénitien de haut vol, Damien Hirst, l'ancien bad boy de la scène Young British Artists des années 90, le virtuose des coups d'éclat plongés dans le formol ou le plexiglas. Richissime, talentueux, Duchamp des temps modernes, cool, et juste ce qu'il faut de cynique pour oser mettre aux enchères ses propres oeuvres lors de sa spectaculaire vente de 2008 chez Sotheby's!
L'artiste - dont il est vrai que le public n'avait plus beaucoup entendu parler depuis quelques années - bondit de l'écume avec son exposition blockbuster qui prend ses quartiers au Palazzo Grassi et à La Pointe de la Douane. 5000 m2 dédiés à un délire baroque, too much, überexpensive, du jamais vu jusqu'ici: "Les Trésors de l'épave de 'L'Incroyable' " ou comment réaliser une exposition à partir d'une fiction: la découverte en 2008, près de Zanzibar, d'une épave renfermant la collection fabuleuse de Cif Amotan II (anagramme de I am a fiction).
Au menu des trouvailles, une tête de Méduse en malachite (le prix serait de 4 millions de dollars) rejoue en 3 dimensions celle qu'on retrouve dans le célèbre tableau du Caravage, une statue de Protée, dieu marin des métamorphoses, rongée par un corail réalisé artisanalement, a le visage d'Elephant Man, ou encore une chimère féminine évoque "La Mouche" de Cronenberg.
François Pinault au pilotage
Culture pop innervée à une certaine idée de l'antiquité et de l'archéologie, divertissement s'acoquinant aux vertiges du marché, fiction multiple qui en met plein les mirettes et dont le but est d'être vendue pièce par pièce. L'artiste fait fort.
Au pilotage de cette opération maousse (on parle de plus de 58 millions d'euros), Maître Pinault sur un marché perché. Collectionneur de la première heure de l'oeuvre de Hirst, propriétaire des deux lieux vénitiens, têtes de gondole citées précédemment, il joue le mécène et finance le projet qui fera date. Pourquoi? L'homme érudit et homme d'argent avant tout, voyant le vent de la reconnaissance faiblir pour son étalon anglais, risquait gros avec tout ce qu'il lui avait misé sur lui.
Fomentant ce projet hors norme, le voici qui ne sera plus pris au dépourvu quand la bise sera venue. Au final, en 2017, Documenta versus Hirst et réciproquement, tout et son contraire, en simultané. Et ça n'est pas de la fiction.
Florence Grivel/mh
Cinq événements qui ont marqué 2017
-Documenta Kassel: le grand raout de l'art contemporain pointu et engagé s'est cette année déroulé à Athènes au printemps et à Kassel en été, une première. Au coeur de la manifestation, les réfugiés et les frontières, la censure, ce que l'on peut apprendre du sud, ou encore la mémoire comme outil de compréhension du présent.
-Venise: Damien Hirst investit le Palazzo Grassi et La pointe de la Douane avec son trésor puisé dans une archéologie fictive. Inventif, baroque, populaire et élitaire et surtout lucratif.
-Lausanne: le Musée cantonal des beaux-arts présente Ai WeiWei. L'artiste dissident le plus institutionnel et populaire au monde expose non seulement au musée mais également dans tous les autres qu'abrite le palais de Rumine. Grand succès pour cette exposition qui tient à la fois de la course au trésor et du show room high level.
-Berne: le Kunstmuseum de Berne présente sous le titre "L'art dégénéré – confisqué et vendu" près de 160 oeuvres dont la plupart furent saisies dans les musées allemands en tant que "art dégénéré". Exceptionnels travaux sur papier, ils rendent compte à la fois d'une histoire complexe et de la force de ces courants comme l’expressionnisme, le constructivisme ou encore la nouvelle objectivité.
-Aarau: au Kunsthaus, l'exposition "Swiss pop art" montrait qu'entre les années 60 et 70 il a bel et bien existé un courant pop qui a innervé la production artistique suisse de façon originale. Remarquable exposition enrichie par un catalogue exhaustif.