Fuir un pays, quitter sa famille, ses amis, ses repères, traverser des frontières, à pied, en bateau, en train, pour aller vers un ailleurs dont on ne sait presque rien. C'est la réalité de l'exil, celle de 65 millions de personnes par an, contraintes au déplacement par la guerre, l'oppression, les désastres climatiques, les catastrophes naturelles ou la pauvreté.
Ce texte, on peut le lire au Musée de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge qui propose jusqu'en novembre une exposition de plus de 300 clichés consacrés à la migration et signés des plus grands photojournalistes de l'agence Magnum, dont Robert Capa, Raymond Depardon et Werner Bishof.
Cette exposition recouvre plusieurs époques et plusieurs lieux, de la guerre d'Espagne au conflit qui embrase le Moyen-Orient. Et ce qui frappe dans ces clichés, au-delà de leurs différences, c'est la similitude des comportements: l'attente, des files d'attente, des enfants dans les bras, des femmes qui portent d'énormes paquets sur la tête, des humains qui se soutiennent physiquement, les déchets au sol, l'épuisement de corps, le désir de dignité malgré tout. Pourquoi autant de ressemblances?
Nicolae Schiau, journaliste à la RTS, ne dit pas autre chose. C'est une photo qui l'a poussé à entreprendre son reportage multimédia sur le périple de six jeunes Syriens, depuis la frontière turco-syrienne jusqu'au nord-ouest de l'Allemagne, puis à Calais.
La photographie aime bien travailler avec le souvenir des clichés qui le précèdent. Très souvent, les photographes ont déjà en tête l'effet icône de ces images, et les reproduisent.
En 2015, il est fasciné par une image qui montre des migrants le long d'une voie de chemin de fer sur la route des Balkans. Sont-ils vraiment en train de marcher depuis la Syrie? De faire 6600 kilomètres à pied, se demande-t-il. "C'est cette image qui m'a incité à vérifier, à travailler avec mon téléphone portable et à faire une partie de ce chemin avec eux", dit le journaliste, dont le travail a été primé.
Mais ces images, souvent chocs, sont-elles efficaces? On se souvient de la photo du petit Aylan Kurdi échoué sur la plage. Elle a produit 22 millions de tweets en 12 heures provoquant une émotion planétaire, grâce, notamment à un phénomène d'identification.
La photographie est très mauvaise pour raconter une histoire. Elle ne recouvre pas la réalité, c'est un fragment, une perception, un choix. Avec l'image, on a l'aboutissement de l'histoire, le moment où les migrants arrivent aux frontières, mais rien, ou très peu, sur les causes de cette migration.
Pourtant, alors même qu'elle a été contextualisée rapidement, elle a suscité plusieurs interprétations. Car sans les mots qui disent le lieu et la date, les images sont souvent incompréhensibles.
Réalité virtuelle
D'où le désir de plusieurs ONG de faire de l'immersion, de plonger le lecteur ou le spectateur dans une réalité qui lui est étrangère. Et pourquoi pas d'en passer par la réalité virtuelle. Le "New York Times" le fait, en collaboration avec le Haut Commissariat aux réfugiés.
Pour Nicolas Schiau, si l'expérience est intéressante sociologiquement, elle est incompatible avec le travail de journaliste, qui consiste à accompagner et non pas à faire du sensationnel. Par ailleurs, la réalité virtuelle ne donne pas plus d'explications ou d'informations sur ce qui est en train de se passer qu'un cliché.
Evoquer plutôt que montrer
De nombreuses photos de l'exposition du CICR sont devenues des icônes. Un photographe qui travaille pour une ONG a plus de contraintes qu'un photographe d'agence. Il ne doit pas
fare de sensationnalisme, respecter la dignité de son sujet, avoir son consentement et les conditions de sécurité qui vont avec. James Nashweek, la quintessence du photographe de guerre, notamment au Rwanda, s'est plié à ces règles quand il a travaillé pour le CICR. Au lieu de prendre en photo des amputations ou des mutilations, qui étaient un peu sa signature, il a photographié des prothèses. Ses images sont devenues à leur tout icôniques.
Pour échapper à cet effet de répétition, certains photographes ont inversé le rapport et ont tendu leur appareil de photo aux migrants pour qu'ils fassent eux-mêmes les images, et que le point de vue changent. Au lieu de saisir les moments dramatiques, ils ont capté des à-côtés moins spectaculaires mais qui constituent autant leur réalité. "Hélas, le public européen ne les comprend pas", souligne Valérie Gorin.
Propos recueillis par Laurence Froidevaux/Réalisation web Marie-Claude Martin
EXIL, exposition de plus de 300 photographies de l'agence Magum, jusqu'au 25 novembre, Musée de la Croix Rouge et du Croissant Rouge.