Jeanne Moreau et toutes ses voix, sublimées par Laure Adler

Jeanne Moreau avait le théâtre dans la peau; elle fut de tous ses combats, de toutes ses aventures. On pourrait presque parler de planches de salut, tant la scène fut sa passion, jusqu'à la fin. "Je ferai du théâtre parce que sans ça je vais crever", disait-elle avant même de commencer le Conservatoire.

Ma loge est en même temps la salle d'attente et l'aire d'envol vers un autre monde.

Décédée en toute discrétion

Pour honorer celle qui participa en 1947 au premier festival d'Avignon, la Maison Jean Vilar consacre une exposition à la chanteuse et comédienne, disparue le 31 juillet 2017, à 89 ans.

Est-ce en raison de son décès au coeur de l’été? En tout cas, pour la journaliste et écrivaine Laure Adler, elle est partie sans être saluée à la hauteur de son talent, de son engagement et de son aura. D’où cette exposition, "Je suis vous tous qui m’écoutez", dont la journaliste, déjà remarquable biographe de leur amie commune, Marguerite Duras, est la commissaire.

C’est une exposition splendide, la traversée d’une maison hantée non seulement par les images mais aussi par les voix de Jeanne Moreau, mutine, malicieuse, grave, gouailleuse, épuisée mais toujours vaillante comme dans "Emma" qu'elle chante avec les Têtes Raides.

>>> A écouter la comédienne en 2014:

Pour répondre à la demande de Nathalie Cabrera, directrice de l'Association Jean Vilar, Laure Adler a travaillé comme une enquêtrice: rassembler tous les documents sur Jeanne Moreau, dénicher ses entretiens radio ou TV, visionner ses films, écouter ses chansons, rencontrer ceux qui l'ont connu, mais aussi faire appel à sa mémoire.

Sous des jets de tomates

La première fois que Laure Adler découvre Moreau sur scène, c'est en 1974 dans "La Chevauchée sur le lac de Constance", de Peter Handle, mise en scène par Claude Régy, avec également Delphine Seyrig et Gérard Depardieu.

La mise en scène est tellement avant-gardiste que les comédiens jouent sous des jets de tomates, mais Jeanne reste souriante!

Par la suite, les deux femmes se rencontreront souvent, Laure Adler travaillant tout près de l'appartement de Jeanne Moreau, insomniaque. "Je connaissais Jeanne. Mais là, dans cette quête théâtrale que j'ai menée, j'ai découvert d'autres Jeanne, une femme très libre, qui a été de tous les combats artistiques et théâtraux du 20 et 21ème siècle".

Une mémoire phénoménale

Pour Laure Adler, Jeanne Moreau a réussi, outre son immense talent, par son opiniâtreté, par la chance qu'elle a su cultiver toute sa vie et par sa capacité de mémorisation phénoménale. A la Comédie Française, la comédienne était connue pour pouvoir remplacer au pied levé n'importe quelle actrice.

Faire plier les metteurs en scène

Mais surtout, ce qui a fasciné Laure Adler, c'est l'ascendant que la comédienne a pris progressivement sur les metteurs en scène, Vitez ou Michael Gruber.

Plus qu’une comédienne, elle était une penseuse du théâtre.

Muse, inspiratrice, femme engagée, amie fidèle, passeuse malicieuse, Jeanne Moreau était passionnément liée au festival d'Avignon, de 1947 à 2011, aux côtés de Jean Vilar ou d'Etienne Daho (pour "Le Condamné à mort" de Jean Genet), pour dire les mots de Kleist ou de Musset, donner vie à Célestine ou Zerline, et affirmer jusqu'au bout "l'art comme dépassement de soi".

Propos recueillis par Isabelle Carcèles

Réalisation web: Marie-Claude Martin

_{"Je suis vous tous qui m’écoutez", une exposition en sons et en images, Maison Jean Vilar, Avignon, jusqu'en avril 2019.}