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"Au bout des doigts", un conte dont l'héroïne est la musique classique

Sur le tournage du film "Au bout des doigts" de Ludovic Bernard. [Pathé Films]
Ludovic Bernard, "Au bout des doigts" / Vertigo / 53 min. / le 26 décembre 2018
Mathieu, un jeune de banlieue, va sortir de la délinquance grâce à ses talents de musicien. Ce conte réaliste contemporain vaut déjà au jeune Jules Benchetrit une sélection pour les Révélations des Césars 2019.

Mathieu Malinski (Jules Benchetrit) vit en région parisienne dans une famille dont le père est absent. Il soutient sa mère et ses frères et soeurs en travaillant comme magasinier. Ses fins de mois il les arrondit avec des casses de villa avec des potes. Sa vie semble mal partie, sauf qu'il possède un don: une oreille absolue, un toucher parfait pour le piano, qu'il a appris en cachette avec son voisin, Monsieur Jacques (Michel Jonasz).

Kristin Scott Thomas et Jules Benchetrit dans le film "Au bout des doigts" de Ludovic Bernard. [Pathé Films]
Kristin Scott Thomas et Jules Benchetrit dans le film "Au bout des doigts" de Ludovic Bernard. [Pathé Films]

Un jour, alors qu'il joue sur un piano en libre accès à la Gare du Nord, le jeune homme est repéré à la fois par la police qui le recherche, et par Pierre Geitner (Lambert Wilson), directeur de la section piano du Conservatoire National Supérieur de Musique.

Ce dernier va permettre à Mathieu d'échapper à la prison à condition qu'il accepte de se préparer au prestigieux concours national de piano. Le jeune talent va devoir entrer dans un monde dont il ignore les codes et se confronter à l'exigence des cours dispensés par la redoutable "Comtesse" (Kristin Scott Thomas).

Inspiré de faits réels

Pour le réalisateur Ludovic Bernard, tout a vraiment commencé dans une gare, autour d'un piano mis à disposition des voyageurs par la SNCF. Le réalisateur est alors en pleine promotion pour son précédent film, quand il assiste au concert improvisé d'un garçon baskets et capuche sur la tête.

"J'avais en tête l'idée d'un film autour de la musique classique. Ce jeune homme issu de la banlieue jouait divinement une valse de Chopin. Je l'ai écouté jusqu'au bout, j'étais profondément ému. Après cette scène, j'avais le film, et je savais tout ce que je voulais raconter."

À partir de là, Ludovic Bernard va imaginer cette incroyable ascension d'un jeune délinquant virtuose de piano. "Ascension" est d'ailleurs le titre de son précédent film, qui racontait l'histoire de ce jeune de banlieue qui avait escaladé l'Everest pour prouver qu'il était capable de faire des choses jusqu'au bout. Là encore le réalisateur s'était inspiré de faits réels. "Cela arrive tout le temps. Il y a beaucoup plus de jeunes de banlieue ou de milieux très populaires qui réussissent là où on ne les attend pas."

Il est totalement faux de croire que tous les grands compositeurs ou interprètes viennent d'un milieu aisé. Il faut casser ce préjugé.

Ludovic Bernard, réalisateur d'"Au bout des doigts".

"Une certaine partie de la population s'est emparée du code classique en disant 'c'est à nous'. Il faut que les jeunes arrivent à dépasser cela, et sachent que l'on peut réussir ailleurs que là d'où l'on vient. Il faut ajouter que d'avoir dû se battre pour quelque chose confère souvent un supplément d'âme." Et cette qualité d'âme est particulièrement précieux dans la musique classique.

Sans piano ni professeur mais bourrés de talent

Jules Benchetrit dans le film "Au bout des doigts" de Ludovic Bernard. [Pathé Films]
Jules Benchetrit dans le film "Au bout des doigts" de Ludovic Bernard. [Pathé Films]

Le film n'est pas sans évoquer la récente histoire de Mourad, ce jeune garçon de 14 ans, originaire d'une cité des quartiers Nord de Marseille, qui, ne possédant pas d'instrument chez lui, passait plusieurs heures par semaine à jouer sur le piano de l'hôpital de la Timone.

Il jouait si bien qu'un homme l'a filmé et a publié sa performance sur les réseaux sociaux, suscitant de nombreux soutiens. Désormais le jeune talent s'est vu offrir un piano et une formation.

"Je me souviens aussi de cette jeune femme de 22 ans que j'ai vu jouer de façon extraordinaire dans une autre gare. Elle n'avait pourtant ni professeur, ni piano chez elle et ne jouait que sur des pianos en accès libre. Il y a beaucoup de jeunes qui ont un don en eux. Ce qui leur manque ce n'est pas l'argent, car la culture est soutenue chez nous, mais quelqu'un qui leur indique le chemin des conservatoires, leur dise que c'est possible."

Entrer dans la peau d'un grand pianiste

Jules Benchetrit et Lambert Wilson (de dos) dans le film "Au bout des doigts" de Ludovic Bernard. [Pathé Films]
Jules Benchetrit et Lambert Wilson (de dos) dans le film "Au bout des doigts" de Ludovic Bernard. [Pathé Films]

Pour jouer Mathieu, le réalisateur avait d'abord ouvert un casting à des comédiens pianistes. Mais ceux-ci avaient déjà 23-25 ans. Or il voulait que le personnage n'aie pas plus de 18 ans. "Jules est arrivé à l'audition et j'ai été époustouflé par sa beauté et l'intensité de son regard. Il ne joue pas de piano, aussi je lui ai demandé d'écouter jour et nuit la musique du film pour qu'il puisse la ressentir au plus profond de lui.

Ensuite il a travaillé quatre à cinq heures par jour sa gestuelle, la pose des mains, la respiration, afin d'être capable de restituer toute la puissance et l'émotion d'un grand pianiste. Un travail qui ressemble à l'astreinte impitoyable des musiciens. Pour se préparer à jouer un concerto comme le No 2 de Rachmaninov que Mathieu travaille dans le film, un soliste répète six mois à ce rythme."

Ce qu'il y a de plus précieux dans la vie c'est la musique. C'est ce qui nous relie tous.

La Comtesse, jouée par Kristin Scott Thomas

"Au bout des doigts" repose certes sur un casting irréprochable et une trame qui a fait ses preuves (celle du mentor qui va permettre à un jeune talent en devenir de se réaliser, en passant par un certain nombre d'épreuves initiatiques), mais il s'agit avant tout d'une inconditionnelle déclaration d'amour à la musique classique.

Très présente, c'est bien elle, et toute l'émotion qu'elle transmet, que le film vise à délivrer de tous les carcans et préjugés dont on l'accable. Et le film nous fait comprendre que ce n'est pas seulement le jeune Mathieu des banlieues qui est sauvé par la musique, mais bien tous les personnages, d'où qu'ils viennent.

Propos recueillis par Sophie Iselin et Thierry Sartoretti

Réalisation web Manon Pulver

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