En 2017, la présence de deux productions de Netflix au Festival de Cannes provoque la colère du cinéma français. Un an plus tard, "Roma" d'Alfonso Cuaron - un film distribué par la plateforme - remporte le Lion d'or de la Mostra de Venise. Soit en quelques mois une évolution radicale de la place du géant américain au sein du marché du cinéma.
Les chiffres confirment ce nouveau statut de Netflix. L'an dernier, l'entreprise de vidéo à la demande a distribué 71 longs-métrages de fiction: des productions maison ou des distributions exclusives à l'image de "Roma", sorti sur la plateforme ainsi que - entorse à son modèle de diffusion - dans 600 salles dans le monde triées sur le volet par le groupe américain. En 2015, Netflix n'en avait distribué que deux.
>> Lire aussi : Une seule salle de Genève projettera "Roma", sublime film Netflix
Cette évolution se ressent également dans les budgets d'investissements consentis par le groupe ces dernières années pour acquérir des contenus originaux, que ce soit des films, des séries ou des documentaires. Un investissement qui s'est élevé à 12 milliards de dollars en 2018:
Et selon une estimation de Goldman Sachs, ce budget pourrait atteindre les 22,5 milliards en 2022.
"La salle de cinéma n'est plus un passage obligé"
Au-delà des chiffres, Netflix bouscule le cinéma traditionnel dans ses règles du jeu. "Jusqu'à présent, l'ordre de distribution pour un film, c'était: festival, salle de cinéma, puis DVD", rappelle dans le 19h30 Anne Delseth, programmatrice du Cinéma City Club de Pully. "Netflix se sert encore des grands festivals en tant qu'événements (...), mais la salle de cinéma n'est plus un passage obligé lors de la sortie d'un film", ajoute celle qui est également coordinatrice du master en cinéma de l'ECAL.
Un changement pour les spectateurs, les gérants de salles, ainsi que pour les créateurs. Avec un tel modèle, ceux-ci perdent l'occasion qui existait de rencontrer leur public, de "déposer le film chez les autres", et "d'apprendre de son propre film", estime dans La Matinale Lionel Baier.
"Le cinéma ne se fait qu'avec ce que le spectateur en pense, et si on n'a plus ce rapport au spectateur, c'est peut-être un changement", ajoute le réalisateur suisse, qui s'attend toutefois à l'apparition de nouvelles formes de dialogue.
Une nouvelle manière de voir... et d'influencer le film
Avec Netflix, le consommateur de films ne se rend plus au cinéma, peut visionner films et séries seul à la maison, et nouveauté, devenir acteur de l'intrigue. Dans "Bandersnatch", un épisode spécial de la série "Black Mirror" sorti fin décembre, le spectateur peut faire des choix qui modifient le cours de l'histoire.
Résultat: le film peut durer plusieurs heures, connaître différentes fins, rendant floue la frontière entre série et jeu. Un épisode possible grâce à la technologie de la vidéo à la demande, l'interaction se faisant via la télécommande et des centaines de minutes de rushs.
>> Lire : "Black Mirror" diffuse un film interactif à mi-chemin entre fiction et jeu vidéo
Alors que sortait "Bandersnatch", le géant américain annonçait que plus de 45 millions de comptes Netflix avaient visionné le dernier film produit par la plateforme, "Bird Box", soit le record du film Netflix le plus regardé sur sept jours, selon l'entreprise.
Une annonce qui a de nouveau fait jaser. Ces 45 millions d'utilisateurs ont-ils regardé le film du début à la fin? Comment Netflix calcule-t-il ses audiences? Aux Etats-Unis, des producteurs ont appelé à davantage de transparence. Un nouveau débat dans un marché secoué de fond en comble par les plateformes web.
Adaptation web: Tamara Muncanovic
Reportage TV: Gilles de Diesbach