Lundi 7 janvier, une semaine avant un vote crucial du Parlement britannique, la chaîne Channel 4 diffusait "Brexit: The Uncivil War". Une phrase en sous-titre, "Tout le monde sait qui a gagné mais peu de gens savent comment", donnait le ton de ce téléfilm de deux heures signé James Graham, scénariste britannique en vue qui n'en est pas à son premier récit politique.
Il revient sur la bataille menée par les eurosceptiques durant le référendum de 2016 et se concentre surtout sur le chef d'orchestre de ce mouvement: Dominic Cummings, totalement inconnu du grand public, qui a pourtant eu un rôle décisif dans "Vote Leave", le groupe qui menait la campagne officielle en faveur du Brexit. Dans le film, il est brillamment interprété par Benedict Cumberbatch, un nom familier pour ceux qui ont vu la série "Sherlock Holmes" de la BBC. Les critiques sont unanimes pour saluer la performance de l'acteur britannique, qui met en avant le côté tout à la fois humain et machiavélique du personnage.
Le maître à penser des europhobes
Dominic Cummings est réputé pour être un redoutable stratège, mais il n'a jamais eu d'ambition politique. Conseiller spécial de Michael Gove, l'actuel ministre de l'agriculture, il a été l'un des acteurs clés de la campagne pour le Brexit aux côtés du maire de Londres, Boris Johnson. Selon les dires d'anciens collègues, il est fou et génial en même temps, et méprise plus que tout l'establishment.
Il a vu le Brexit comme une opportunité en or pour faire table rase afin de rebâtir une société basée sur la méritocratie. Le film montre très bien toutes les facettes de ce personnage complexe, qui n'a eu aucun scrupule à utiliser les frustrations et les peurs des gens pour arriver à ses fins.
Notre message tient en une phrase "Quand vous trouvez un électeur potentiel, vous le travaillez au corps. Une fois qu’il commence à plier, vous ne le lâchez pas. Vous lui répétez qu’on fera 380 millions d’économies, et vous parlez de la Turquie. Soyez sans pitié! Reprenez le contrôle!"
"Take back Control", le fameux slogan de la campagne, est signé Dominic Cummings, tout comme le fameux bus rouge de campagne promettant 350 millions de livres par semaine pour le service national de santé, un autre slogan qui s'est avéré être un énorme mensonge. Mais le bus n'est que la partie visible de la manipulation.
Le film met aussi l'accent sur le rôle joué par les réseaux sociaux et les algorithmes dans la campagne. Les messages sont répétés à l'infini à coups de publicités numériques ciblées, grâce à la récupération et l'analyse de données par une société liée à Cambridge Analytica – qui pour rappel avait contribué à la victoire de Donald Trump.
Une fiction très documentée
Au début de "The Uncivil War", un petit texte explique que le téléfilm se base sur des faits réels et des interviews avec plusieurs acteurs clés du référendum, même si certaines scènes et dialogues ont été inventés pour rendre l'intrigue plus percutante. Le scénario s'est aussi appuyé sur deux livres, celui du journaliste pro-Brexit du Times Tim Shipman ("All Out War") et celui du responsable pour la campagne pour le maintien dans l'UE Craig Oliver ("Unleashing Demons") – en fait l'adversaire direct de Commings. D'après Craig Oliver, le film est assez équilibré. Il évite de tomber dans la surenchère anti-Brexit sans pour autant épargner Dominic Cummings.
Tout le monde peut allumer un brasier. Mais la question est que faites-vous quand il est hors de contrôle ? Et dans la réalité Dominic Cummings s’est enfui du brasier.
Au lendemain de la diffusion sur Channel 4, les réactions sur le film sont mitigées. Le Guardian, journal pro-européen, le juge superficiel et irresponsable car il omettrait certains faits importants, notamment le dépassement par le groupe "Vote Leave" du plafond des dépenses de campagne. Le Daily Telegraph, clairement pro-Brexit, le trouve génial.
Sur les réseaux sociaux les avis divergent aussi. En toile de fond on s'interroge surtout sur la pertinence de faire un film sur un sujet qui n'est pas clos, puisqu'on qu'on ne connaît toujours pas la fin de cette histoire. Pour le réalisateur, au contraire, cette introspection n'a jamais été aussi à propos et nécessaire.
Catherine Ilic, correspondante à Londres/Réalisation web: Manon Pulver