Ferdinand Cheval est né en 1836, dans un petit village proche d'Hauterives, dans la Drôme. Il appartient à une famille paysanne assez pauvre, ce qui l'oblige à quitter très tôt l'école pour travailler, d'abord comme boulanger puis, des années plus tard, comme facteur rural dans son lieu de naissance. Chaque jour, il fait 32 kilomètres à pied. Lors de ses longues heures de randonnée, il rêve et commence à imaginer dans sa tête un palais idéal, avec ses jardins, ses terrasses, ses sculptures, ses grottes, son bestiaire et son musée.
Un jour d'avril 1879, Cheval trébuche sur une pierre molasse travaillée par les eaux et endurcie par le temps. Ce caillou est aussi beau qu'étrange; il lui rappelle son rêve qu'il avait presque oublié. Voici ce que cet autodidacte qui a appris à lire tout seul écrit dans son cahier: "La pierre représente une sculpture aussi bizarre qu'il est impossible à l'homme de l'imiter, elle représente toute espèce d'animaux, toute espèce de caricatures. Je me suis dit: puisque la Nature veut faire la sculpture, moi je ferai la maçonnerie et l'architecture".
Si Ferdinand Cheval vécut très vieux, 88 ans, sa vie fut remplie de deuils. Son père et sa mère meurent avant sa majorité alors qu'il devient veuf à 37 ans, après avoir perdu un premier enfant. Il épouse en secondes noces Claire-Philomène-Richaud, dont il aura une fille adorée, Alice, qui mourra elle aussi très jeune, à 15 ans. C'est pour elle que pendant 33 ans, chaque soir, avec des pierres, des coquillages et des fossiles ramassés pendant ses tournées, il construira son palais idéal. Terminé en 1912, son monument fait douze mètres de haut et 26 de long.
Une oeuvre unique, admirée des surréalistes et considérée par André Malraux comme le seul exemple d'architecture naïve. Ce palais qui peut se décrire comme "une encyclopédie populaire" a été classé monument historique en 1969. Chaque année, il est visité par quelque 150'000 visiteurs.
Mais ce n'est pas tout. A 77 ans, Ferdinand Cheval a encore la force et l'énergie de parfaire son chef-d'oeuvre en lui ajoutant le tombeau familial, une oeuvre qu'il a mis huit ans à construire.
Cette vie pleine de chagrins, d'efforts et d'entêtement est pourtant "une formidable success-story" aux yeux de Nils Tavernier qui a réalisé "L'incroyable histoire du facteur Cheval", avec Jacques Gamblin et Laetitia Casta. Le cinéaste qui aime les films qui donnent du courage et de l'espoir voit dans la figure du facteur Cheval une forme de romantisme: "il faut l'être pour construire un palais qu'il est impossible d'habiter".
Plusieurs réalisateurs se sont intéressés au destin hors du commun de celui qui est devenu un des emblèmes de l'art brut. Tous ont échoué faute de financement. La chance de Nils Tavernier a été d'être contacté directement par la productrice Alexandra Fechner qui lui a confié cette mission.
Au début de son entreprise, Cheval est pris pour un fou. C'est un homme qui s'exclut du monde par son obsession mais que son entêtement finit par récompenser. Vers 1904, il fait l'objet d'une vingtaine d'articles de journaux, ce qui est énorme pour l'époque. Ce n'est pas un artiste maudit; il a bénéficié d'une reconnaissance inouïe de son vivant.
Nils Tavernier qui a travaillé pendant vingt ans dans le milieu du handicap considère le facteur Cheval comme un homme "câblé différemment", à la structure cérébrale extraordinaire. Il rappelle que cet homme qui a quitté l'école très jeune mais qui a lu tout seul le Coran était un assoiffé de culture, notamment orientale. Certains observateurs ont d'ailleurs noté la ressemblance de son palais avec les temples d'Angkor. "Il a puisé son inspiration dans les cartes postales qu'il collectionnait mais aussi dans certaines revues, dont "Le magazin pittoresque" dédié à l'architecture. Il était d'une liberté viscérale et s'est offert le droit à l'art", précise le cinéaste qui ne connaissait pas l'artiste autodidacte avant d'être choisi pour en raconter le destin.
Propos recueillis par Pierre Philippe Cadert
Réalisation web: Marie-Claude Martin