"Les faiseurs de Suisses", le film le plus célèbre du cinéma helvétique
Grand Format Cinéma
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Introduction
Sorti en 1978, le film de Rolf Lyssy montre, au-delà de la satire directe, tout l'odieux de la xénophobie, du chauvinisme étroit et du racisme ordinaire. Le film trouve le cœur du public suisse. Et il a le mérite d'ouvrir le débat sur la naturalisation.
Chapitre 1
Un film qui a marqué des générations
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"Les Faiseurs de Suisses" de Rolf Lyssy représente le film suisse le plus connu, le plus aimé, le plus regardé en famille et qui a marqué ainsi des générations de spectateurs.
Ce film au succès phénoménal, s'est maintenu pendant presque vingt ans en tête du box-office helvétique avec près d'un million d'entrées avant d'être détrôné par "Titanic".
Cette comédie satirique met en scène deux fonctionnaires zurichois chargés de rendre des rapports sur des candidats à la naturalisation. Barrières culturelles, bureaucratie helvétique, une bonne dose de cynisme, du voyeurisme, et une question fondamentale: quelles sont les caractéristiques d'un bon citoyen suisse?
Chapitre 2
Synopsis
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L'histoire des "Faiseurs de Suisses" est celle de Max Bodmer et de Moritz Fischer, employés à la Police Cantonale de Zurich, dont la charge est de surveiller les étrangers qui demandent la nationalité suisse.
Car devenir Suisse n'est pas un droit, c'est un honneur.
Forte de ce principe, la police cantonale accorde ou non aux postulants étrangers un dossier plus ou moins à leur avantage pour le moment où ils passeront devant le comité de naturalisation.
Parmi les futurs Suisses, un couple de médecins allemands, un employé en pâtisserie italien et une danseuse yougoslave.
On suit tous ces personnages terrorisés à l'idée d'attirer la suspicion des faiseurs de Suisses, par exemple en cuisinant une fondue trop liquide.
Car les voilà, les pauvres, qui doivent subir visites, voyeurisme et toutes sortes d'épreuves avant de pouvoir bénéficier à leur tour des charmes, du conformisme et de la neutralité.
Chapitre 3
Rolf Lyssy, le pionnier
Keystone
Rolf Lyssy est né le 25 février 1936 à Zurich. Sa mère est une Allemande d'origine juive qui a fui l'Allemagne en train de sombrer dans le nazisme. Son père suisse est marchand de prêt-à-porter.
Enfant, il vit à Zurich, un temps, avant que ses parents ne décident de partir pour la campagne. Dans le petit village d'Herrliberg, le petit Rolf débarque sur une autre planète. Lui, le citadin, l'étranger, juif de surcroit.
De cette expérience il acquiert une distance critique sur la Suisse et les Suisses.
Il découvre adolescent le cinéma italien et américain et se dit qu'il sera cinéaste. La famille accueille la nouvelle avec bonhomie.
Mais en Suisse, comment se former? Un apprentissage de photographe, du théâtre en amateur et puis, entre 1956 et 1963, le voilà qui travaille comme assistant de caméra pour des films de fiction et documentaires divers.
En 1964, il est l'assistant d'Alain Tanner pour le film "Les Apprentis". Son premier film, "Eugen heisst wohlgeboren" arrive en 1968, l'année de naissance de son fils.
On le repère surtout en 1975 quand il tourne "Konfrontation", un témoignage antinazi. Il entre dans la cour des grands.
Avec Thomas Koerfer, Kurt Gloor, Fredi Murer, Markus Imhoof et Daniel Schmid, Rolf Lyssy est aujourd'hui considéré comme l'un des fondateurs du jeune cinéma suisse alémanique.
Rolf Lyssy lit tous les jours les journaux, une habitude qui lui permet de trouver un lot d'histoires sans égal.
La Suisse n'est pas en reste et offre, à travers articles et faits divers, un bon réservoir à idées.
Un matin de 1976, il tombe sur un article du Tages Anzeiger. Un reportage dans une famille qui veut être naturalisée et raconte les visites préalables de la police.
"Ces pratiques invasives de l'Etat ne sont connues que des gens qui y sont confrontés. Il y a là une histoire à raconter sur des Suisses qui viennent voir comment vivent les gens qui veulent devenir Suisses. A l'époque, pourtant, ce n'était pas un sujet discuté dans l'espace public. Le reportage du Tages Anzeiger a été l'un des premiers à aborder ce thème", se souvient le réalisateur.
La surveillance, l'exclusion, cette volonté de conformisme pour ne plus être différent, ça lui parle tout de suite, lui qui a fait l'apprentissage de la différence à 8 ans, quand habillé à la mode zurichoise, il s'est retrouvé dans un village. Seul juif citadin parmi les fils de paysans ou d'ouvriers.
Rolf Lyssy relit l'article et s'amuse de la situation. Il voit tout de suite une critique sociale sur la façon dont l'Etat ou les fonctionnaires se comportent.
Je voulais que l’on en rie et que parfois les éclats de rire restent au fond de la gorge.
Mais dans un premier temps, comme l'explique dans la vidéo ci-dessous Rolf Lyssy, Berne refuse toute subvention.
>> A voir, Rolf Lyssy parle des "Faiseurs de Suisses":
Chapitre 5
Les rôles principaux
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Pour jouer l'un des rôles principaux, celui de l'inspecteur chef Max Bodmer, Rolf Lyssy engage un comédien confirmé, Walo Lüönd.
C'est un comédien que l'on connaît peu en Suisse romande, mais qui taille sa route entre 1960 et 2010 dans les séries télé, les téléfilms et les films en Suisse alémanique et en Allemagne. Il participe à plus de 200 films et productions théâtrales.
Walo Lüönd incarne ce fonctionnaire à moustache voyeur, propret, respectueux du protocole, qui rentre à la maison à midi pour manger de la salade de pommes de terre et une saucisse que lui sert sa dévouée épouse.
L'
autre personnage principal du film, Moritz Fischer, est joué par Emil Steinberger. Emil est certainement le Suisse alémanique le plus connu des Romands.
Quand, en 1977, Rolf Lyssy vient le chercher pour lui proposer un des rôles principaux dans son film "Les Faiseurs de Suisses", Emil commence par refuser.
Il répond au réalisateur: "Excuse-moi Rolf, je ne suis pas un acteur professionnel. Quand je joue sur scène, je suis mon inspiration. C'est tout. Et puis je dois penser à mon public."
Rolf Lyssy lui glisse sous le bras le scénario et lui demande de réfléchir. Après la lecture du script, Emil rappelle le réalisateur et donne son feu vert. Car le personnage de Moritz Fischer qui lui est destiné lui ressemble. Une petite quarantaine, une ouverture d'esprit, une drôlerie, une sensibilité.
Et puis, Emil adore jouer les personnages qui, habituellement, n'ont pas voix au chapitre. Les effacés. Pour ce rôle, il est persuadé qu'il n'a pas beaucoup à jouer. Il doit juste être lui-même. Le film drôle, et critique, booste sa carrière. Emil ne devient pas pour autant acteur de cinéma.
Son credo, c'est le stand up. Il est sur scène jusqu'en 1987, part à New York, revient en Suisse écrire et éditer des livres. Il remonte sur scène à 85 ans et fait une tournée triomphale.
Chapitre 6
Le triomphe du film
Keystone
Le film "Die Schweizermacher" fait l'effet d'une bombe en 1978. Les gens font la queue devant les cinémas de tout le pays. Plus d'un million de personnes rient des aventures des "Faiseurs de Suisses".
Bien sûr, il y a des spectateurs indisposés, dans les milieux d'extrême droite notamment. Rolf Lyssy retrouve une croix gammée rouge peinte sur les murs du cinéma qui passe le film à Zurich. Idem sur sa boîte aux lettres. Il reçoit des appels anonymes.
Le triomphe des "Faiseurs de Suisses" constitue une gifle méritée pour Berne, mais il déplaît à une certaine critique alémanique.
Le film gène. Qu'un Suisse se moque de ses compatriotes, ça ne va pas. Mais le public s'amuse et fait des "Faiseurs de Suisses" un succès considérable.
Rolf Lyssy raconte encore: "Qu'on ne se leurre pas. Si on rit au cinéma, en sortant, on continue de faire la même chose. On ne change pas un système. En 1978, le film dénonçait une pratique. Aujourd'hui pour pouvoir obtenir un passeport suisse, on fait des lois encore plus sévères que celles décrites dans mon film".
"Les Faiseurs de Suisses" ont encore un bel avenir.