Soixante ans de carrière. Plus de 120 films, dont un nouveau qui sort le 6 février et trois en post-production. Contrairement à la grande majorité des actrices de plus de 50 ans, Deneuve n’a jamais connu le "plafond de verre âgiste", qui fait disparaître des écrans les actrices dites périmées – c’est-à-dire de plus de cinquante ans.
"Née en 1943, Catherine Deneuve est l’unique star française âgée de plus de 70 ans qui continue de jouir d’un grand renom et dont la carrière est encore en devenir", écrit l’historienne du cinéma Gwénaëlle Le Gras dans "L’âge des stars, des images à l’épreuve du vieillissement" (éd. L’Âge d’homme), passionnant ouvrage collectif qu’elle a codirigé avec Raphaëlle Moine et Charles-Antoine Courcoux.
Ce qui frappe dans sa longévité, c’est qu’elle n’a pas eu de moments de creux dans sa carrière. A peine quelques fléchissements. Elle a toujours compté parmi les stars les plus importantes du cinéma français. Et c'est encore le cas aujourd’hui.
Au commencement, une icône muette
Catherine Deneuve débute à la fin des années cinquante. Dès les années soixante, elle s’impose comme une icône. "Mais une icône muette", précise Gwénaëlle Le Gras. Chez Agnès Varda ("Les Créatures"), Luis Bunuel ("Belle de jour") ou Jacques Demy ("Les Parapluies de Cherbourg", "Les Demoiselles de Rochefort"), elle ne parle pas, elle a peu de dialogues ou elle est doublée, entièrement ou partiellement. C’est son visage qu’on remarque et la critique souligne avant tout sa grande beauté.
Ses talents d’actrice ne seront reconnus qu’avec "Tristana", de Bunuel, mais surtout "Le Dernier Métro" (1980). Grâce à ce film, Deneuve a su dépasser un certain plafond de verre. "Truffaut lui a écrit un rôle de maturité. Elle a une position d’autorité dans le film et grâce au film, à ses Césars, à son succès public, elle acquiert également une stature de pouvoir au sein de la profession. On la choisit comme modèle pour Marianne. Elle devient une figure d’exportation du cinéma français et, encore aujourd’hui, des films se financent grâce à son seul nom", explique Gwénaëlle Le Gras.
Ce statut-là lui permet d’obtenir des rôles où elle reste dans le champ du désir, poursuit la chercheuse. Un cas rare dans le cinéma français pour les actrices de plus de 50 ans. "Dans "Belle-maman", de Gabriel Aghion, ou plus récemment dans "Elle s’en va", d’Emmanuelle Bercot, ses personnages ont droit à une vie sentimentale et sexuelle qui n’est pas sanctionnée par une fin tragique."
La tête et les jambes
L’historienne du cinéma remarque aussi un décalage entre le visage et le corps de l’actrice.
"Alors que celles qui continuent de belles carrières, comme Isabelle Huppert ou Nathalie Baye, ont des silhouettes longilignes, ce qui leur permet de rester au plus près des normes dominantes", précise-t-elle.
Le visage de Deneuve est comme figé en raison de la chirurgie esthétique, alors que le corps n’a visiblement pas été retouché.
Deneuve, elle, joue du binôme star/actrice à travers son visage et son corps. "Son image de star s’est construite sur ce visage. Mais l’actrice a pris son autonomie au fur et à mesure de l’évolution de sa carrière. Dans les films, Deneuve joue pleinement de son corps vieillissant, alors que son visage – figé – reste associé à son image de marque."
Selon Gwénaëlle Le Gras, c’est le cinéaste André Téchiné qui a su le mieux accompagner Catherine Deneuve dans son vieillissement et l’a thématisé dans ses films, dans "Ma Saison préférée" notamment. Pour la première fois, Catherine Deneuve y donnait la réplique à sa fille Chiara Mastroianni.
Elle la retrouve aujourd’hui dans "La Dernière Folie de Claire Darling", de Julie Bertuccelli, dans lequel elle interprète une vieille dame qui brade ses bibelots et se retrouve confrontée aux fantômes et erreurs de son passé.
Des hommes plus jeunes
Dans le livre "L’âge des stars", Gwénaëlle Le Gras montre que les partenaires amoureux de Catherine Deneuve sont en général beaucoup plus âgés qu’elle dans les films. "L’écart d’âge se creuse après 'Le Dernier Métro'", reprend Gwénaëlle Le Gras. "Avant cela, comme la majorité des actrices jeunes, ses partenaires étaient beaucoup plus âgés qu’elle."
Pourquoi Deneuve – et une poignée d’autres, comme Isabelle Huppert ou Catherine Frot – a-t-elle le droit à de jeunes amoureux de fiction? "Parce que c’est bien le statut de pouvoir et de star qui intervient en premier lieu, avant les questions de genre", explique Gwénaëlle Le Gras.
"Seul un certain niveau de reconnaissance permet d’obtenir ce type de privilèges à l’écran. Le cas Catherine Deneuve masque donc une réalité toute autre pour la majorité des actrices de plus de cinquante ans…"
Raphaële Bouchet/mcc