"Je ne peux pas vous montrer mon visage mais je vais vous raconter mon histoire". C'est par cette phrase que débute le documentaire "Free Men", d'Anne Frédérique Widmann sur Kenneth Reams, condamné à mort en décembre 1993 pour un meurtre qu'il n'a pas commis - même s'il reconnaît avoir participé à un braquage qui a mal tourné.
Je méritais d'être puni mais pas par la peine de mort.
Kenneth avait 18 ans; c'était le plus jeune détenu de l'Arkansas. Vingt-cinq plus tard, il vit toujours dans sa cellule d'isolement dans les couloirs de la mort. La pièce fait 2 mètres sur 3; elle ne comprend que deux fenêtres de 10 centimètres de large par lesquelles il ne voit rien, sinon le mur d'en face. Kenneth, dans un poème, évoque ces murs qui, sitôt que l'on se sent angoissé ou stressé, en profitent pour "faire de votre âme un festin, en la dévorant". Son seul contact avec l'extérieur passe par le téléphone, et notamment celui d'Anne-Frédérique Widmann.
Alors comment fait-on pour supporter une vie sans espoir de sortie? Comment ne pas devenir fou, violent ou léthargique? "Il faut lire des livres, apprendre et se fixer un objectif. Vivre derrière des barreaux n'empêche pas d'avoir des rêves et de les réaliser", répond Kenneth qui est devenu un exemple pour tous les autres détenus et l'emblème de la résilience.
Par sa volonté, Kenneth a donc repoussé les murs de sa cellule pour devenir peintre, poète, sculpteur et fondateur d'un organisme à but non lucratif, "Who decides", qui entend documenter la peine de mort par le biais de l'art. Il a réalisé, entre autres, une miniature très détaillée de sa cellule en 3D, avec des bâtonnets de glaces. Lesquels ont aussi servi pour une reproduction petit format de la chaise électrique "qui se vend très bien".
Son travail exposé en Europe
A Londres, son travail a été exposé grâce, notamment, à Isabelle Watson, une artiste française dont il est tombé amoureux et qu'il a épousée. Parallèlement, Kenneth lutte toujours pour obtenir justice. Selon son avocat, son procès, composé d'un jury de onze Blancs et un seul Noir, a été une mascarade et un désastre. "Je n'aurais jamais été condamné si j'avais été blanc", dit Kenneth.
Anne-Frédérique Widmann confirme que dans ces prisons de haute sécurité qu'elle a visitées, elle a vu en majorité des Noirs et des Latinos, cette population qui n'a pas les moyens de s'offrir un bon avocat.
Ils sont emprisonnés pour leur statut social bien plus que pour leurs crimes.
Puisque les visites étaient interdites et que la prison a tout fait pour empêcher le film, "Free men" repose en grande partie sur les conversations téléphoniques entre Anne-Frédérique Widmann et Kenneth Reams. Le prisonnier devient ainsi le narrateur de ce documentaire déjà plusieurs fois primé.
Trouver un sens à sa vie
La journaliste-réalisatrice a également rencontré la mère de Kenneth qui est tombée enceinte trop jeune, sa tante Amélia qui l'a toujours soutenu, d'autres condamnés à mort qui sont sortis après révision de leur procès et Isabelle Watson, cette Française de Montpellier qui a retrouvé le sens du dessin grâce à l'énergie transmise par son compagnon. C'est elle qui gère le site "Who decides".
Le film s'intitule "Free Men" au pluriel, parce qu'au-delà du cas Kenneth Reams, Anne-Frédérique Widmann s'intéresse à tous ces condamnés à mort qui, malgré la solitude, l'angoisse de l'échéance et l'isolement, ont réussi à repousser les murs de leur cellule, à être libres dans leur tête et à trouver un sens à leur vie.
Propos recueillis par Yves Zahno
Adaptation web: Marie-Claude Martin
"Free Men", d'Anne-Frédérique Widmann, en salles depuis le 26 février. Plusieurs avant-premières sont prévues en présence de la réalisatrice, séances suivies d'une dialogue téléphonique avec le condamné à mort. Lausanne, Cinéma Bellevaux, le 26 février. Genève, Cinérama Empire, le 28 février. Martigny, Cinéma Casino, le 23 mars. Sainte-Croix, Cinéma Royal, le 24 mars. Fribourg, Cinéma Rex, le 26 mars. Neuchâtel, Cinéma Apollo, le 4 avril.