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Ces comédies qui cartonnent malgré le mépris de la critique

L'affiche du film "Qu'est-ce qu'on a encore fait au Bon Dieu?". [DR]
Cinéma. Et si on arrêtait de mépriser la comédie? / Nectar / 23 min. / le 26 février 2019
Les cinq films les plus rentables du cinéma français en 2018 sont des comédies. Et pourtant ces films sont le plus souvent snobés par la critique. Les explications de Fabrice Montebello, professeur de sociologie.

Si l'on considère les chiffres publiés il y a une semaine par la revue Le Film Français, "L'Amour Flou" de Romane Boringer et Philippe Rebbot, comédie d'auteur à petit budget, "Les Tuche 3", qui vient de remporter le César du public, "Tout le monde debout" de Frank Dubosc, "Le Grand Bain" de Gilles Lellouche, et "La Chtite Famille" de Dany Boon composent le quintet de tête des films les plus rentables de 2018 en France.

Les plus rentables, c'est-à-dire les films qui, proportionnellement à leur budget, sont amortis grâce à leur exploitation en salle sur le territoire français. Et en termes de spectateurs, c'est "Les Tuche 3", avec ses 5,68 millions de spectateurs, qui a attiré le plus de monde dans les cinémas.

La France dépassée par sa réalité culturelle

En 2019, la comédie "Qu'est-ce qu'on a encore fait au Bon Dieu" est bien partie pour caracoler en tête. Sorti fin janvier, le film a déjà dépassé les 5 millions de spectateurs en France et les 90'000 spectateurs en Suisse romande.

Ce film de Philippe de Chauveron est la suite de "Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu", sorti en 2014, avec toujours Christian Clavier et Chantal Lauby en grands bourgeois riches, vieux, blancs, hétéros, catholiques, dépassés par la réalité culturelle de la France d'aujourd'hui.

Le premier volet avait déjà été un énorme succès, 12 millions de spectateurs en France, et c'était bien exporté, en particulier en Allemagne.

Des comédies "ethniques"

Interrogé par la RTS, Fabrice Montebello, professeur de sociologie et d'histoire du cinéma à l'Université de Lorraine, explique qu'un nouveau genre de comédies est apparu en France depuis une dizaine d'années. Par exemple "Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu" et sa suite, mais aussi "Neuilly sa mère" et "Neuilly sa mère sa mère", "Beur sur la ville" ou encore les "Kaïra". Il parle de comédies "ethniques", c'est-à-dire de comédies qui reposent sur la valorisation de situations concernant "la diversité raciale ou ethnique dans la société française, liée aux populations immigrées provenant à la fois de l'extérieur de la France, mais aussi de l'ancien territoire colonial français".

Cette photographie par le cinéma de cette société française dans sa diversité culturelle, régionale, ethnique et sociale plaît beaucoup.

Fabrice Montebello, professeur de sociologie et d'histoire du cinéma.

Selon Fabrice Montebello, le public français d'aujourd'hui est beaucoup plus sensible à la diversité culturelle qu'il ne l'était il y a encore vingt ans. Il parle d'une sensibilité "postcoloniale". Et cela grâce à l'émergence d'acteurs comiques comme Jamel Debbouze ou Smaïn, Kad Merad, Dany Boon ou Omar Sy, qui sont issus de l'immigration et dont la réussite n'est pas construite "contre les désavantages de leur milieu d'origine, mais grâce à ces désavantages".

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Mépris de la critique

Malgré ce succès populaire, la comédie subit pourtant un mépris quasi général de la part de la critique et des milieux intellectuels français. La question fait débat régulièrement et c'est la raison pour laquelle l'Académie des César a instauré depuis 2018 un César du public, octroyé au film qui a drainé le plus de spectateurs dans les salles. Vendredi dernier, la récompense est donc allée aux "Tuche 3".

Mais d'où provient cette différence de goûts entre le public et la critique? Pour Fabrice Montebello, c'est une question de valorisation des genres en France. Et dans cette valorisation, "la comédie est tout en bas", avec son côté vulgaire, fait de jeux de mots, de gros-mots et de "pipi-caca régressif".

En France, il existe deux types de cinéma dans un même marché, explique l'historien: le cinéma d'auteur qui ne remplit pas les salles mais qui valorise les genres nobles comme le drame, la tragédie ou l'épopée, et le cinéma grand public constitué principalement de comédies populaires.

Ce mépris hautain que l'on peut voir dans l'espace public français à l'égard des comédies est lié à la hiérarchie des genres qui place la comédie tout en bas.

Fabrice Montebello, professeur de sociologie et d’histoire du cinéma à l’Université de Lorraine

Et toute la tradition de la cinéphilie cultivée française, renforcée par les logiques institutionnelles de l'Etat qui aident financièrement les "genres nobles", contribue à renforcer les préjugés sur les comédies qui remplissent les salles. "Même si on leur reconnaît certaines qualités, on a va d'abord voir les défauts, précisément parce qu'on a un a priori" conclut Fabrice Montebello.

Propos recueillis par Raphaële Bouchet

Adaptation web: Andréanne Quartier-la-Tente

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