"Le nom de la rose", roman d’Umberto Eco dont la traduction française a été publiée en 1982, s’est vendu à plus de cinquante millions d’exemplaires dans le monde. Le film de Jean-Jacques Annaud, sorti en 1986, a été vu par cinq millions de sectateurs rien qu’en France. Il apparaît dès lors légitime de se demander pourquoi OCS Originals propose aujourd’hui une adaptation sous la forme d’une mini-série de huit épisodes.
Il faut s’arrêter d’abord sur les raisons avancées par les artisans de la série eux-mêmes qui, par exemple, revendiquent une durée de 6h50 – alors que le film ne dure "que" 2h10 – comme une place supplémentaire laissée à ce qui dans le roman ne relève pas directement de l’enquête du moine franciscain Guillaume de Baskerville qui constituait la chair du film de Jean-Jacques Annaud.
En résonance avec notre époque
Bien sûr les meurtres s’enchaînent toujours dans une abbaye bénédictine du nord de l’Italie en plein XIVe siècle, mais l’histoire s’est enrichie de nouvelles intrigues de personnages supplémentaires, comme une manière de "mise à jour" afin d’ouvrir plus largement la résonance avec notre époque, dont certains paramètres ont largement évolué depuis la sortie du roman il y a quarante ans.
Au premier abord, cette évolution peut surprendre, surtout quand on découvre par exemple que John Turturro, qui incarne Guillaume de Baskerville et qui est un des coscénaristes, a refusé de signer son contrat tant qu’il n’était pas assuré qu’il y aurait "suffisamment" d’Umberto Eco dans le scénario, s’arrogeant par là même la fonction de "défenseur" du philosophe et romancier italien. Cependant, on sait aussi qu’Umberto Eco avait d’une part octroyé les droits d’adaptation pour cette série et, d’autre part, il en aurait même validé une première version du scénario.
Deux Guillaume de Baskerville, sinon rien!
Si dans le film d’Annaud, Sean Connery incarnait un Guillaume de Baskerville assez sûr de lui et plutôt pince-sans-rire, la proposition de John Turturro est quasiment à l’opposé. Ce dernier nous offre un personnage plus fragile, plus calme, plus pondéré et tout en nuances. Et il faut reconnaître que les deux interprétations sont aussi convaincantes l’une que l’autre. Il en va de même pour tous les personnages et leurs interprétations, différentes d’une adaptation l’autre. Cependant, comme nous l’apprend la sagesse populaire, précisément depuis le Moyen Âge, "comparaison n’est pas raison", restons-en à la série proprement dite.
D’où venons-nous? Et évitons d’y retourner!
Une des vertus majeures du roman "Le nom de la rose" consiste à faire réfléchir le lecteur sur son propre temps et sur la société dans laquelle il évolue. Cette vertu est intacte, voire renforcée, dans la version que nous propose l’Italien Giacomo Battiato, réalisateur et coscénariste, ne serait-ce que par la forte présence de l’Histoire du Moyen Âge dont on tente de nous faire croire depuis des lustres qu’il n’était qu’une période sombre, inculte et sauvage.
Les enjeux géopolitiques dans lesquels l’église catholique pèse de tout son poids sont empoignés sans faux-semblants dans le rapport d’opposition entre Baskerville le franciscain, dont l’ordre appelle au dénuement, au rejet du superflu, à la pauvreté et à l’égalité entre tous les hommes et le pape Jean XXII (Tchéky Karyo) qui siège à Avignon, défenseur agressif d’une église riche dont les pontes doivent être issues de la noblesse pour mieux écouter les nantis et qui n’hésite pas à éradiquer ses contradicteurs sous couvert de respect du dogme catholique afin de servir au mieux ses intérêts politiques et financiers.
Entre la domination du monde par les riches et l’Inquisition, par le bras et l’esprit de Bernardo Gui, grand inquisiteur (Rupert Everett), qui se mue en avatar du terrorisme religieux immolant à tour de bras et sans scrupule aucun et jetant sur les routes des milliers d’individus, miséreux rescapés du massacre des populations qu’elle considère hérétiques, il n’est rien de dire que ce que nous renvoient la mini-série "Le nom de la rose" prend tout son sens dans les temps que nous vivons.
Numerus clausus
La fameuse bibliothèque, pivot central de l’abbaye et de l’intrigue, dans laquelle, à l’exception du bibliothécaire et de son assistant, nul ne peut entrer, symbolise avec force évidence la thématique du partage du savoir et de l’accès à la connaissance, puisque les livres qu’elle renferme ne sont accessibles aux moines – qui sont déjà la crème du dessus du panier de l’élite intellectuelle – que par l’intermédiaire des gardiens de la sapience.
Évidemment, Guillaume de Baskerville, mû par sa curiosité et sa soif d’égalité, bravera l’interdit en compagnie de son novice Adso (Damian Hardung) qui a d’abord été conquis par l’humanité du moine plutôt que par ses qualités d’enquêteurs. Pourtant, lorsque le jeune homme apparaît à l’évidence troublé par la présence d’une jeune femme (Antonia Nina Fotaras) rescapée du pays d’Oc où toute sa famille a été exterminée et son village incendié par l’Inquisition, Baskerville le met en garde: "La femme est une créature démoniaque dont l’objectif est de soumettre l’homme à la tentation!" Mais il ajoute très vite qu’il ne peut pas croire que Dieu a créé les femmes à cette seule fin et qu’elle doit donc posséder des vertus que les hommes ne sont pas capables de comprendre!
Pascal Bernheim/aq
"Le Nom de la rose", saison 1 inédite (8 épisodes), diffusée dès lundi 25 novembre 2019, vers 20h40 sur RTS Deux.