"Beetlejuice", l’horreur fantomatique en mode comédie

Grand Format

AFP - Geffen Company / Archives du 7eme Art / Photo12

Introduction

Dans cette comédie dramatique sortie en 1988, Tim Burton renverse les histoires de fantômes habituelles. Cette fois, ce sont les vivants qui vont faire fuir les morts.

Chapitre 1
L'univers déjanté de Tim Burton

AFP - Archives du 7eme Art / Photo12

Dans le film de Tim Burton "Beetlejuice", un couple de jeunes mariés récemment décédés va tout mettre en œuvre pour faire partir les nouveaux occupants de leur maison avec l’aide d’un affreux jojo, vulgaire et méchant qui se nomme Beetlejuice.

A l’écran, on trouve Alec Baldwin, Geena Davis, Michael Keaton - absolument parfait Beetlejuice - mais également Winona Ryder, 16 ans, que le film révèle au grand public.

Le film présente l’univers déjanté de Tim Burton, ses monstres fantaisistes, ses créations de carton-pâte, ses couleurs vives comme ses noirs ultimes. Le jeune réalisateur y met au point ce qui deviendra ses marques de fabrique.

On y trouve un Beetlejuice (littéralement jus de cafard) au costume rayé et aux dents jaunes, une jeune fille au grand chapeau gothique, une salle d’attente remplie de fantômes au corps coupé, à la tête rétrécie, et un serpent de sable rouge et bleu avec une tête à l’intérieur de l’autre.

"Beetlejuice" remporte l'Oscar du meilleur maquillage ainsi que le Saturn Award du meilleur film d'horreur. Le film devient rapidement un film culte et emporte l’adhésion du public comme de la critique. Il permettra à Tim Burton, l'année suivante, de révolutionner le monde des superhéros avec un Batman crépusculaire et d’installer durablement son univers dans l’histoire du cinéma.

Chapitre 2
Faire fuir les vivants

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Adam et Barbara Maitland sont un couple de jeunes mariés heureux. Ils vivent dans une grande maison sur une jolie colline, à la campagne, dans le Connecticut. L’herbe y est bien verte et la campagne ressemble à une carte postale.

Un jour, au volant de leur voiture, les Maitland évitent un chien et meurent en tombant dans la rivière. Devenus fantômes, ils rentrent chez eux et s’aperçoivent vite qu’ils ne peuvent plus quitter leur maison. Dès qu’ils le font, ils se retrouvent dans un gigantesque désert de sable peuplé de vers géants à grandes dents. Par la voix de leur conseillère post mortem la sentence tombe: ils sont condamnés à hanter leur maison pendant 125 ans.

Le problème, c’est que la maison est vendue à des New-Yorkais prétentieux et richissimes, les Deetz. Charles, un businessman stressé, veut se reposer. Sa femme Delia, artiste ratée, entend faire de cette maison une création que lui envieront tous ses amis citadins. Lydia, la fille, dépressive chronique, se balade en traînant son appareil photo et son spleen. Elle est pourtant la seule à voir les fantômes.

Jeffrey Jones (au centre), Catherine O'Hara et Winona Ryder jouent la famille Deetz dans "Beetlejuice". [AFP - Geffen Company / Archives du 7eme Art / Photo12]
Jeffrey Jones (au centre), Catherine O'Hara et Winona Ryder jouent la famille Deetz dans "Beetlejuice". [AFP - Geffen Company / Archives du 7eme Art / Photo12]

Les Maitland, armés de leur "Manuel des jeunes décédés" mettent tout en œuvre pour faire fuir les vivants. Tête coupée, draps de lits découpés, peau du visage arrachée. Rien n’y fait. Leur seul recours: faire appel à un bio-exorciste qui passe ses pubs à la télé: Beetlejuice. Il a survécu à la peste de 1665 et il a vu 156 fois le film "L’exorciste". Il se dit compétent. Mais Beetlejuice est ingérable, vulgaire et libidineux. Il viendra néanmoins en aide aux Maitland qu’un exorcisme fera disparaître progressivement.

En 1985, Tim Burton, jeune réalisateur, vient de connaître son premier succès avec "Pee-Wee Big Adventure". La Warner Bros vient le chercher pour lui proposer d’adapter Batman. Enchanté, il se met tout de suite à travailler sur le scénario. Mais les choses traînent. La Warner tarde à lancer le projet.

Tim Burton tourne un peu en rond. Il en profite pour lire les scénarios qu’on lui envoie régulièrement. Une histoire retient son attention. Elle a pour titre "Beetlejuice". Elle est écrite par un certain Michael McDowell, écrivain, spécialisé dans la littérature d’horreur. C’est une histoire de fantômes assez trash où Beetlejuice doit tuer la famille et violer la jeune fille.

Tim Burton est titillé par cette idée de fantômes qui veulent se débarrasser de leurs hôtes humains en utilisant un démon exorciseur.

C'est le scénariste Warren Skaaren qui apportera l’apport comique qui manquait à l'histoire. De démon meurtrier, le personnage de Beetlejuice devient alors un être vulgaire et agaçant. L’autre-monde est également décrit comme un passage absurde, à la bureaucratie complexe et hilarante.

Tim Burton est enchanté. Le film d’horreur est devenu une comédie qui défie tous les académismes et tous les genres, mêlant épouvante et burlesque, grotesque et immortalité.

>> A écouter: L'émission "Travelling" consacrée à ce film :

L'affiche de "Beetlejuice". [allocine.fr]allocine.fr
Travelling - Publié le 24 mars 2019

Chapitre 3
Tim Burton

Reuters - Mario Anzuoni

Tim Burton naît le 25 août 1958 à Burbank en Californie. Son père travaille dans un parc d’attractions et sa mère tient une boutique de cadeaux à motifs félins. C’est un enfant solitaire, un peu exclu. Il n’aime pas ce que les autres enfants aiment.

"Ce monde de la classe moyenne américaine n’était pas fait pour moi. J’ai d’abord connu l’ennui et la solitude; la normalité de ce milieu me paraissait excessivement oppressante. Et puis, en grandissant, j’ai découvert, grâce à la fiction – et plus particulièrement au cinéma - qu’il y avait d’autres façons de voir le monde et que je n’étais pas seul. Je me suis identifié aux personnages différents, aux monstres, aux freaks" explique le réalisateur.

Captivé par King Kong, Frankenstein, Godzilla ou L’Etrange créature du lac noir, Tim Burton possède une imagination galopante, nourrie de fantasmes morbides qu’il couche sur papier. Très doué pour le dessin qu'il voit comme un exutoire, il veut faire de l’animation.

Le réalisateur américain Tim Burton en 1997. [AFP - Pierre Verdy]
Le réalisateur américain Tim Burton en 1997. [AFP - Pierre Verdy]

Dans les années 70, le jeune homme s’installe seul au-dessus d’un garage et continue de dessiner. Il a peu d’amis, mais s’en passe, il a assez de films à regarder. Il écoute du punk, fait des films en super 8 avec des loups-garous et un autre avec un savant fou. Des trucs en animation, image par image avec des figurines.

Il décroche en 1978 une bourse d’études pour le California Institute of Arts, une fac créée par Disney pour recruter de nouveaux animateurs. Des instructeurs inculquent la philosophie Disney. En 1980, il est recruté dans la maison mère. Une épreuve pour Tim Burton qui se sent à l’étroit dans le sérail.

En 1985, son heure de gloire est enfin arrivée. "Pee-Wee Big Adventure" est son premier long-métrage. L’histoire d’un gars mal fini qui part à la recherche de sa bicyclette. Pee-Wee lui ressemble, c’est un être en bordure, qui vit sans tenir compte du regard des autres.

En 1988, "Beetlejuice" fait connaître son univers au grand public et permet aux studios Warner de vraiment lancer la machinerie Batman en 1992. Suivront d'autres films et d'autres succès.

Chapitre 4
Les acteurs Michael Keaton et Winona Ryder

AFP

Beetlejuice est un personnage effrayant et démoniaque. C’est un lutin d’un autre monde, une sorte de diable ou même un esprit frappeur expliquent les acteurs du film. Mais c’est surtout un fantôme sale et obsédé, aux dents pourries, portant un costume noir et blanc qui aime se transformer en serpent et séduire les femmes tout en s’incrustant dans la vie et dans la mort des gens.

Pour incarner ce personnage retors et mal poli, il fallait un comédien qui n’ait pas froid aux yeux. Tim Burton pense d’abord à Sammy Davis Jr. La Warner refuse. C’est le producteur David Geffen qui lui suggère un comédien de télévision: Michael Keaton. Il a fait quelques petits rôles au cinéma. Pas grand-chose. Il a alors 37 ans.

Michael Keaton dans le rôle de Beetlejuice. [AFP - Archives du 7eme Art / Photo12]
Michael Keaton dans le rôle de Beetlejuice. [AFP - Archives du 7eme Art / Photo12]
L'acteur Michael Keaton en 2002. [DPA/AFP - Hubert Boesl]
L'acteur Michael Keaton en 2002. [DPA/AFP - Hubert Boesl]

Tim Burton est séduit. Michael Keaton s’implique complètement sur le projet. Entre les deux hommes une amitié naît.

"La plupart des gags qu'on voit à l'écran", se souvient Tim Burton, "ont été imaginés pendant mes journées passées à plaisanter chez Michael Keaton. Il était irrésistible. Il lançait des trucs comme: 'Et si je me créais de fausses dents, maintenant?', et sa voix muait instantanément. Michael est complètement cintré. C'est un maniaque, une pile électrique et il a des yeux incroyables. J'adore les yeux chez les gens et il a une paire d'yeux proprement hallucinants".

Le réalisateur engagera encore le comédien sur ses autres films, notamment deux Batman qui vont révolutionner le genre et qui assureront à Michael Keaton sa notoriété. Tim Burton aime travailler en famille. Il se crée donc sa propre famille de créateurs et de créatifs parmi lesquels on trouve Johnny Depp, Danny Elfman, Michael Keaton, Eva Green.

L’actrice Winona Ryder, qui fera également partie du sérail Burton, trouve dans "Beetlejuice" un rôle parfait. Celui de Lydia Deetz, jeune fille dépressive, vivant en marge. Au départ, elle est la seule à voir les fantômes.

Winona Ryder monte pour la première fois sur scène à 12 ans au conservatoire de San Francisco où elle prend ses premiers cours. Sa famille est hippie, amie avec les artistes de la beat generation comme le poète Allen Ginsberg. Son parrain est même Timothy Leary, écrivain et gourou psychédélique.

En 1985, à 15 ans, elle joue dans le film "Lucas". C’est là que Tim Burton la repère.

L'actrice Winona Ryder dans le film "Beetlejuice". [AFP - Geffen Company / Archives du 7eme Art / Photo12]
L'actrice Winona Ryder dans le film "Beetlejuice". [AFP - Geffen Company / Archives du 7eme Art / Photo12]

Dans un entretien en 2012, elle raconte son premier entretien avec le réalisateur:

"Je me souviens être allée aux studios et de m’être assise dans la salle d’attente et ce gars est venu. On a commencé à discuter de musique, de tout et de rien pendant environ 25 minutes. J’ai fini par lui dire que j’avais rendez-vous avec le réalisateur. Et il répond: oh c’est moi. J’ai fait: quoi? Parce que je n’avais aucune idée à cet âge-là qu’un réalisateur pouvait être quelqu’un avec qui traîner et papoter. [...] Je ne savais pas vraiment quel rôle m’était destiné, mais je sais qu’il y a eu tout de suite un lien entre nous. Après on a fait "Edward aux mains d’argent" qui est mon film préféré. Mais surtout, j’ai senti un amour inconditionnel pour lui. Il a changé ma vie."

Chapitre 5
Un style fauché et désuet

AFP - Archives du 7eme Art / Photo12

"J’en ai vraiment ras le bol des adultes qui me disent que mes films sont trop noirs, trop glauques et trop effrayants. Quand 'Beetlejuice' est sorti, on m’a dit que j’allais traumatiser tout le monde. Il ne s’est rien passé" raconte Tim Burton.

Mon cinéma n’est pas noir. Moi j’y vois de la joie, de la gaieté.

Tim Burton, réalisateur

"Beetlejuice" est tourné presque entièrement en studio à Culver City dans le comté de Los Angeles entre mars et juin 1987. On fabrique les marionnettes, on crée les prothèses, les maquillages, les effets mécaniques. Il faut que ça fasse série B, que ça ne soit pas trop parfait. Le style doit être selon les dires du réalisateur: fauché et désuet.

"Beetlejuice", un film de Tim Burton. [AFP - Archives du 7eme Art / Photo12]
"Beetlejuice", un film de Tim Burton. [AFP - Archives du 7eme Art / Photo12]

Quand on demande à Tim Burton s’il aurait pu faire "Beetlejuice" avec les moyens d’aujourd’hui, il répond que cela aurait été dommage, parce que ces effets un peu vieillots et ces marionnettes font partie de ce qu’il voulait raconter. "C’est plus tactile, plus beau, plus surprenant. Comme Pinocchio ou Frankenstein, on voit quelque chose d’inanimé qui prend vie". Mais surtout, Burton aime l’animation. Il n’est pas un réalisateur obsédé de technique.

Une scène absolument capitale de "Beetlejuice" est celle du dîner après l’évocation de Beetlejuice par les Maitland.  Autour de la table, les nouveaux propriétaires de la maison et leurs amis sont soudain pris d’une transe. Ils se mettent à danser et à chanter sur la chanson "Day-O" d’Harry Belafonte. Une scène hilarante devenue culte dans l’histoire du cinéma.

En 1988, on peut voir au cinéma "Le Grand Bleu" de Luc Besson, "Qui veut la peau de Roger Rabbit" de Robert Zemeckis, "L’Ours" de Jean-Jacques Annaud, "Les liaisons dangereuses" de Stephen Frears, "Rambo III" et "Piège de Cristal". Mais surtout, on se régale devant "Beetlejuice", un film pas tout à fait comme les autres.

Le film sort aux États-Unis en avant-première à New York le 29 mars 1988, puis dans 1'000 salles dans la foulée. Il lui faut quelques semaines pour s’imposer.

Le public, comme la critique, sont, dans un premier temps, un peu interloqués par l’univers de Tim Burton. Mais cette comédie mêlant l’animation, le burlesque et l’horreur finit par plaire à tous, petits et grands. Rapidement, le film fait du bénéfice. Il finit par rapporter en recettes cinq fois son budget initial de 15 millions de dollars.

En 1989, "Beetlejuice" remporte trois Saturn Awards dont celui du meilleur film d’horreur et l’Oscar du meilleur maquillage.

Beetlejuice. [AFP - Archives du 7eme Art / Photo12]
Beetlejuice. [AFP - Archives du 7eme Art / Photo12]

"Beetlejuice" installe durablement l’univers de Tim Burton dans le septième art. En 1989, une série télé d’animation est produite mettant en scène ce personnage de Beetlejuice devenu iconique avec ses cheveux verts, ses cernes profonds et son costume rayé noir et blanc.

Le personnage plaît aux enfants. On le retrouve aussi dans un comics book et dans un jeu vidéo en 1990 et 1991.

Très vite, une suite du film est évoquée. En 1990, Tim Burton met le chantier en route mais il est accaparé par ses Batman. Le projet finit par prendre l’eau de toute part. Et même si régulièrement on lit dans les médias que "Beetlejuice 2" est sur les rails, il n'y a toujours rien de concret.

Pourtant c'est tout simple: pour faire apparaître Beetlejuice, il suffit de dire trois fois son nom...