C'est un film fragile, autant par son budget - 120'000 euros - que par son propos qui s'attaque à deux tabous: la mort accidentelle d'un enfant et la masturbation comme addiction. Quel long métrage peut bien combiner ces deux thèmes? "L'instant infini", du Genevois Douglas Beer.
Un couple de Parisiens vient s'installer dans une ferme en France voisine, après la mort accidentelle de leur petite fille. Lui (Damien Dorsaz), très en colère, se donne quinze jours pour retrouver du boulot; elle (Jennifer Rihouey) noie son chagrin dans une masturbation frénétique. Très vite, le couple manque d'argent et le mari propose à sa femme de s'adonner à son addiction devant une webcam pour en tirer profit. Il la tient responsable de l'accident de leur fille et veut la punir. Elle se sent coupable, et accepte.
Mais le film ne tourne pas seulement autour d'un couple en crise. A mi-chemin, il s'enrichit d'une intrigue policière. "Mais sans flics. Comme le disait Hitchcock, pour qui j'ai une totale admiration, dès que la police intervient, on s'ennuie", s'amuse Douglas Beer, 61 ans et une longue carrière de courts métrages.
Aller à l'essentiel
Pour réaliser "L'instant infini" tourné dans un décor unique et en 18 jours, le cinéaste a hypothéqué sa maison, à hauteur de 120'000 euros. Loin de l'handicaper, le manque de moyens lui a donné énergie et inspiration. "Quand vous avez une contrainte de lieu, d'argent et de temps, vous allez à l'essentiel: qu'est-ce que je peux raconter qui soit émotionnellement fort? La mort d'un enfant. Et, pire encore, se sentir responsable de cette mort" précise le réalisateur qui a écrit le scénario en six mois. Comme il s'agissait de son propre argent, disponible dès qu'il en a fait la demande, il a pu tourner tout de suite.
Plus les contraintes sont grandes, moins il y a de choix. Résultat: on tergiverse peu et on gagne en rapidité
Si "L'instant infini" souffre de son manque de moyens, notamment au niveau des éclairages, l'essentiel est là: un scénario excellent, des personnages bien creusés, de l'humour malgré son sujet, et un montage raffiné de Julien Rey, chef-monteur de tous les derniers films de Luc Besson, dont "Valerian". "Julien, qui est aussi musicien et cinéaste, voulait travailler sur du low-cost. C'est fou ce qu'il arrive à faire avec rien", s'enthousiasme Douglas Beer.
"J'ai dormi dans le décor"
Pour donner corps au scénario, il fallait encore trouver la comédienne capable d'assumer un tel rôle. Douglas Beer a choisi Jennifer Rihouey sur la base d'une fausse impro où elle s'est révélée tout à la fois juste et audacieuse. "Comme le tournage était court, il fallait bien préparer et répéter en amont, un peu comme au théâtre. J'ai vécu en immersion totale, je ne sortais jamais du décor, je dormais dedans. J'ai vécu cinq semaines avec ce personnage qui doit mener une bataille entre son désir de mourir - de chagrin ou de culpabilité - et son envie de vivre intensément", explique Jennifer Rihouey, dont c'est le premier grand rôle au cinéma.
Une addiction du côté de la vie
Vivre intensément? Oui, car pour Douglas Beer, la masturbation n'est pas une addiction comme une autre."Contrairement à l'alcool, la drogue ou l'automutilation qui sont des dépendances mortifères, la sienne est du côté de la vie, de la jouissance".
Propos recueillis par Philippe Congiusti pour "Brazil"
Adaptation web: Marie-Claude Martin