Né en 1942 à Munich, en pleine guerre, Werner Herzog connaît une adolescence de grande pauvreté dans les montagnes bavaroises. Avant l'âge de 11 ans, le garçon qui rêvait de faire du saut à ski n'avait encore jamais vu un seul film. Il n'avait même pas idée que le cinéma existait.
Celui qui deviendra un des chefs de file de la Nouvelle Vague allemande avec Wim Wenders, Völker Schlöndorff ou Rainer Fassbinder est donc un pur autodidacte: "J'ai vraiment cru que j'avais inventé le cinéma", dit-il à la RTS.
Le Maître du Réel qui peut l'impossible
Werner Herzog, cinéaste et écrivain, est aussi explorateur, le seul réalisateur en tout cas à avoir tourné sur les sept continents. Et pourquoi pas sur Mars? Werner Herzog se dit prêt à y aller.
Il ne faut pas coloniser Mars, mais c’est bien de l'explorer, d'y faire des recherches. J’irais volontiers tourner sur une station orbitale; je pense que je me débrouillerais bien. Mais les missions emmènent toujours des techniciens avec eux, jamais des poètes.
Celui qui répète que "le monde se révèle à ceux qui voyagent à pied" ne se définit ni comme un maître, ni comme un artiste, mais comme un soldat. Célèbre pour ses tournages tumultueux qui l’ont parfois mis, lui et ses équipes, en danger de mort, le cinéaste allemand est l’homme qui a rendu possible des entreprises jugées impossibles.
Fureur et destruction
Klaus Kinski, l'acteur avec qui il a tourné cinq films, a incarné ses rêves de démesure dans "Aguirre, la colère de Dieu" ou "Nosferatu", relecture passionnante et romantique du film de Murnau. "J'ai rencontré Kinski quand j'avais 13 ans, lui avait 18 ans. Il n'était que fureur et destruction. Donc je savais à quoi m’attendre quand, plus tard, je l’ai invité à tourner avec moi. Etait-il insupportable, difficile, peste avec les autres? Cela n'a plus d'importance. La seule chose qui compte, c’est ce que vous voyez à l’écran".
Dans son livre "Conquête de l’inutile", Werner Herzog tient la chronique du tournage de l'épique "Fitzcarraldo" (1982), l'histoire d'un homme qui voulait construire le plus grand opéra du monde en pleine forêt amazonienne. Ce tournage apocalyptique, dans l'enfer de la jungle, lui a permis d’éprouver dans sa chair une de ses obsessions: l’adversité de la nature, sa puissance et sa beauté, seule divinité aux yeux du cinéaste.
Quand un caméraman veut discuter avec moi de la beauté d’un paysage, j’interromps immédiatement la conversation, parce que tout ce qui pourrait sembler pittoresque ne m’intéresse pas. Pour moi, la question est plutôt: est-ce que c’est un paysage de l’âme ou pas?
Car Werner Herzog ne tourne pas seulement pour faire des films, il s’en sert pour ausculter le monde, célébrer une nature grandiose piétinée par l'ambition destructrice des hommes et interroger la marge ou la folie comme symptôme d'une forme de sainteté.
La civilisation est comme une mince couche de glace sur un océan profond de chaos et d'obscurité.
Un cinéma de l'extase
Le Festival Visions du Réel consacre Werner Herzog Maître du Réel, un titre qui convient bien à ce cinéaste hors norme qui a réalisé plus de 70 films, fictions et documentaires, pour le cinéma ou la télévision.
Car ce qui l'intéresse, dans ses fictions comme dans ses documentaires, c’est le dépassement de soi, cet état second qu'on appelle l'extase. "L’extase vient du grec ex- tasis, ça veut dire "sortir de soi-même", dépasser la condition humaine pour vivre une expérience de vérité. Les mystiques de la fin du Moyen Age faisaient l’expérience de la foi dans l’extase. Et le cinéma, sans cet aspect religieux, est aussi capable d’illumination, d’expérimenter cette vérité extatique".
Cette expérience peut aller jusqu'à nier la mort: les alpinistes qu’il filme dans "Gasherbrum, la montagne lumineuse" ou Timothy Treadwell dans l'extraordinaire "Grizzli Man", l'homme qui pensait pouvoir être ami avec les grizzlis en Alaska, avant d'être dévoré par eux.
Si Werner Herzog a pu construire cette oeuvre foisonnante et cohérente c'est parce qu'il a toujours été son propre producteur, et ce depuis son premier court-métrage. Sa manière de réinvestir ses gains dans les films suivants est la clé de son indépendance. C'est aussi une forme d'économie paysanne, avec son obligation de faire oeuvre en fonction des besoins et aléas. "Si vous voulez faire des films, vous devez pouvoir vivre avec le fait que vos possibilités seront parfois très limitées". Comme ce fut le cas avec "Meeting Gorbatchev", ses conversations avec l'ex-président de l'URSS qui ne pouvaient excéder vingt minutes, son interlocuteur étant malade.
A 76 ans, Werner Herzog n'a jamais été aussi prolifique: il a tourné deux films en trois ans et s'apprête à commencer le suivant. Une suractivité qu'il n'explique pas. Il dit que les choses arrivent avec une grande véhémence et qu'il fait avec. "Ce n’est pas de l’inspiration, ça vient juste à moi. Advienne que pourra", conclut-il.
Sujet dans Nectar par Raphaële Bouchet
Adaptation web: Marie-Claude Martin