Des films comme Much Loved, Yomeddine ou encore La Belle et la Meute illustrent cette nouvelle vague du 7e art arabe.
La création artistique est directement touchée par les mouvements populaires. Les cinéastes sont des témoins particuliers des changements politiques, parce qu’ils s’en inspirent, les observent et les filment. En Tunisie par exemple, huit ans après la chute de Ben Ali, la censure a quasiment été levée et les réalisateurs s’emparent désormais de sujets qui étaient jusqu’ici occultés.
On peut parler de tout ce qui était un peu tabou
"On voit un certain débridement. Il y a un effet sur la dynamique artistique et donc sur le cinéma. On peut parler de beaucoup de sujets plus facilement qu'avant: de politique, de sexualité. On peut parler de tous ces secteurs qui étaient un peu tabous et qui bénéficient maintenant de cette libération de la parole", observe Kmar Bendana, historienne et membre de la Fédération tunisienne du cinéma amateur, dans l'émission Tout Un Monde.
Besoin de se voir
Ce nouveau langage peut être vu de deux manières. Dans la forme, d'abord. Les documentaires – proches des foules de 2011 et des slogans de la rue – font désormais place aux drames et films de fiction.
Sur le fond aussi. À l’image du film "Mon cher enfant" de Mohamed Ben Attia. Ce film raconte le brusque départ d’un fils pour la Syrie et le désarroi de ses parents. Un sujet qui touche directement la réalité et les enjeux de la population tunisienne.
"Le cinéma est non seulement plus audible, mais on le recherche aussi. Il y a de plus en plus de public. Les Tunisiens veulent voir des films sur eux-mêmes. Je pense qu'il y a un besoin de se voir et de voir ses propres problèmes sur les écrans. C'est très important. Avant, on avait que les feuilletons de télévision pour parler un peu de la réalité", explique Kmar Bendana.
Le cinéma tunisien est en plein essor. Le pays a l’habitude d’accueillir des tournages et dispose de bonnes infrastructures, notamment des écoles, pour la formation des techniciens. Le secteur économique tourne par conséquent à plein régime, mais ce sont les salles de cinémas qui font désormais défaut. A son indépendance, la Tunisie comptait une centaine de salles pour trois millions d’habitants. En 2011, elles n’étaient plus qu’une dizaine pour une population pourtant presque quatre fois plus importante.
L'Egypte, ancien phare
La situation tunisienne contraste fortement avec ce que vit actuellement le cinéma égyptien. D’autant que l’Egypte était le premier pays du monde arabe - il y a presque un siècle - à produire des longs métrages. Elle faisait même figure d'ambassadrice des films orientaux. Aujourd’hui, le cinéma égyptien va mal, fragilisé notamment par la corruption.
Contrairement à la Tunisie, il n’y a pas eu véritablement de changement de régime et les cinéastes travaillent sous la double pression du pouvoir d'un côté et de la morale islamique de l’autre. "Il y avait une dynamique générale dans les années 50-60. On l'appelait le panarabisme, dont l'Egypte était l'épicentre. Le cinéma accompagnait cette dynamique, mais elle s'est brisée pendant les années 70. A partir de là, le cinéma s'est détérioré", raconte l'historien Jean-Michel Frodon.
Regards tournés vers l'ouest du Maghreb
Les régimes politiques impriment des cadres aux réalisateurs qui sont parfois contraints de s’y tenir. "En Tunisie, Ben Ali n'avait aucun problème avec la question de la femme. Au contraire, il a mis en place l'égalité entre l'homme et la femme, ce qui fait que les cinéastes ont utilisé ce sujet pour faire des films à profusion. Mais il est très difficile de trouver un film qui parlerait de l'organisation sociale ou de la contestation politique", assure Tahar Houchi, président du festival international du film oriental de Genève.
Après la révolution tunisienne et les soulèvements populaires de la place Tahrir au Caire en Egypte, les regards se tournent aujourd’hui vers l’ouest du Maghreb.
C’est de cette région qu’arrivent le plus de propositions cinématographiques. Au Maroc, l’Etat mise sur la quantité et soutient fortement les nouvelles réalisations, tant les séries de télévision diffusées pendant le Ramadan que les longs métrages. Mais artistiquement parlant, c’est l'Algérie qui retient l’attention. Le film "Papicha" de Mounia Meddour sélectionné à Cannes cette année en est l’illustration. Un élan qui pourrait bien se tourner vers la rue algérienne et la fin de l’ère Bouteflika.
Sujet radio: Vincent Nicolet
Adaptation web: Guillaume Martinez