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Comment Charlie Chaplin a été expulsé des Etats-Unis

évoque sa propre enfance. [Archives du 7eme Art / Photo12/AFP]
Charlie Chaplin (2/5) / Histoire vivante / 30 min. / le 30 avril 2019
Persuadé que Charlie Chaplin était à la solde de Moscou, J. Edgar Hoover, le grand patron du FBI, n'a eu de cesse de l'espionner pendant trente ans pour tenter de révéler ses activités "antinationales".

Pendant 50 ans, Charlie Chaplin est mis sous écoute, sa vie privée scrutée, ses comptes dépouillés, ses films analysés jusqu'aux moindres détails par le FBI, persuadé que cet étranger ayant fait fortune en Amérique entretient des sympathies communistes. Au terme de 50 ans d'une traque obsessionnelle, le dossier Chaplin comprend 2'000 pages. Le premier mémo remonte à 1922 et la dernière note à 1978, soit un an après sa mort.

Un homme en particulier est convaincu que Chaplin est dangereux pour les Etats-Unis: J. Edgar Hoover, directeur du FBI pendant 48 ans, raciste, sexiste, homophobe mais surtout viscéralement anticommuniste. Le duel entre le juriste et l'artiste est à l'image des courants idéologiques qui déchirent alors les Etats-Unis. Mais commençons par le commencement.

>> A écouter, le premier épisode d'Histoire vivante consacré aux milles vies de Charlie Chaplin, et en particulier à son absence de sentiment patriotique :

Charlie Chaplin dans "Les temps modernes". [RTS / Roy Export S.A.S]RTS / Roy Export S.A.S
Charlie Chaplin (1/5) / Histoire vivante / 30 min. / le 29 avril 2019

Quand Charlie Chaplin arrive en Californie, en 1910, Hollywood n'est encore qu'un groupe de petites sociétés artisanales. Rapidement, il invente le personnage de Charlot, et tout aussi rapidement, il exige de réaliser lui-même ses films. Succès! Quatre ans plus tard, Chaplin est à la tête d'une fortune considérable. En 1917, après avoir imposé la figure du vagabond comme le porte-parole des faibles, des migrants, des chômeurs, des ouvriers exploités, l'acteur crée sa propre maison de production. On lui reproche déjà de ne pas vouloir la nationalité américaine alors que c'est sur son sol qu'il a bâti sa renommée.

Ascension fulgurante et premiers soupçons

Après la Première Guerre mondiale, Hollywood devient le centre mondial du cinéma. Pour contrer le pouvoir des majors, Chaplin monte avec Griffith et Mary Pickford un réseau de distribution, "United Artists". Il est totalement indépendant tandis que Washington s'inquiète de la propagation des idées bolchéviques et du foyer le plus enclin à les accueillir: Hollywood.

Chaplin qui vient de tourner "La Ruée vers l'or" - le plus gros succès du cinéma muet - est dans le collimateur mais c'est pour une affaire de moeurs qu'il aura droit à sa première fiche FBI: son mariage en 1918 avec Mildred Harris, une jeune fille de 16 ans qu'il a mise enceinte, et dont l'enfant mourra trois jours après la naissance.

Dans "La Ruée vers l'or" (1925), les semelles des chaussures étaient en réglisse. Comme Chaplin multipliait les prises, il connut des problèmes intestinaux. [Archives du 7eme Art / Photo12/AFP]
Dans "La Ruée vers l'or" (1925), les semelles des chaussures étaient en réglisse. Comme Chaplin multipliait les prises, il connut des problèmes intestinaux. [Archives du 7eme Art / Photo12/AFP]

Le couple divorce en 1920 et Mildred attaque Chaplin en justice pour dépravation sexuelle et cruauté. Tout comme le fera sa deuxième épouse et mère de ses deux premier enfants, Lita Grey, qui l'accuse d'infidélité et de violence. Chaplin doit débourser un million de dollars pour divorcer. Leur procès fait la une de tous les journaux et plusieurs ligues des familles appellent au boycott des films de Chaplin.

Au même moment se crée la Motion Picture Producers and Distributors of America (MPPDA) qui, sous pression, met au point un code de bonne conduite dont la première mesure est l'obligation de fournir un certificat de bonne moralité pour toute personne apparaissant à l'écran. C'est cette même MPPDA qui sera à l'origine du code Hays, un système d'autocensure qui interdit de faire ou de montrer certaines choses à l'écran, comme encenser le crime ou l'adultère, se moquer de la religion.

>> A écouter, le quatrième épisode d'Histoire vivante consacré Charlie Chaplin, et plus particulièrement à la guerre que lui menait J. Edgar Hoover :

John Edgar Hoover, né le 1er janvier 1895 et mort le 2 mai 1972 à Washington D.C., a été le premier directeur du Federal Bureau of Investigation (FBI) du 10 mai 1924 à sa mort, soit pendant quarante-huit ans.
Charlie Chaplin (4/5) / Histoire vivante / 30 min. / le 2 mai 2019

Mais comme Chaplin est totalement indépendant, il échappe aux règles qu'imposent les majors à ses artistes. Cela ne fait que le rendre plus dangereux aux yeux du FBI et de son patron J. Edgar Hoover qui fait de la chasse au Chaplin une croisade personnelle. "Les Temps modernes" en 1936, critique sévère d'un capitalisme inhumain, agace particulièrement les politiciens et lobbies conservateurs mais le film plaît au public et les comptes du cinéaste sont irréprochables: rien n'indique qu'il contribue à la cause communiste.

S'il nie être communiste, Chaplin n'en a pas moins des opinions qui heurtent le patriotisme américain, à l'image du monologue final, humaniste et pacifiste, du "Dictateur" (1940).

Merci, camarades

Avec quelques autres, dont Orson Welles et l'écrivaine Pearl Buck, prix Nobel de littérature en 1938, Charlie Chaplin pense qu'il faut soulager la Russie dans sa lutte contre le nazisme, en ouvrant un second front. Il devient même explicite en 1941. Appelé à remplacer l'ambassadeur des Etats-Unis en URSS lors d'un meeting organisé par le Comité de soutien américain de secours de guerre à la Russie, Chaplin interpelle 10'000 sympathisants d'un vibrant "Camarades". Il se met à dos tout le congrès, et même le président Roosevelt, dont il avait défendu la politique du new deal. Mais cela ne suffit toujours pas à en faire un paria et Hoover fulmine de ne pas pouvoir coincer ce "sale petit Anglais donneur de leçons" qui s'est enrichi aux Etats-Unis.

>> A écouter, l'épisode d'"Histoire vivante" consacré aux démêlés de Chaplin avec le FBI et les services secrets :

FBI: le dossier Chaplin
Charlie Chaplin (5/5) / Histoire vivante / 30 min. / le 3 mai 2019

Détruire son image

A défaut de trouver des preuves de son "antinationalisme", le FBI s'évertue à salir la réputation de la star, notamment en profitant de l'affaire qui l'oppose à l'actrice Joan Barry avec qui il a entretenu une relation intermittente. La pièce au dossier est une facture d'hôtel. La jeune femme, encouragée par le FBI, entame une procédure de reconnaissance de paternité à l'endroit de son ancien amant. Même si l'enfant n'est pas de lui - les tests le confirment - Chaplin est contraint par les tribunaux à verser à cet enfant dont il n'est pas le père une pension alimentaire jusqu'à sa majorité.

Relayé par la presse à scandales, le FBI exploite cette affaire, allant même jusqu'à accuser Chaplin d'avoir violé le Mann Act qui interdit "le transport de femmes d'un Etat à un autre à des fins sexuelles". C'est absurde, Chaplin est acquitté mais le dégât d'image est conséquent.

Visa sans retour

Persécuté par les médias, surveillé par le FBI, encadré par le MPPDA, Chaplin est fatigué. Il abandonne la redingote élimée de Charlot pour enfiler la veste de "Monsieur Verdoux" (1947) une tragi-comédie vaguement inspirée des crimes de Landru sur fond de Grande Dépression. C'est dans cette comédie noire que le personnage, dénonçant l'hypocrisie dont il est victime, déclare: "Si on tue une seule personne, on est un assassin; si on en tue un million, on est un héros".

Dans le climat d'espionnite et de guerre froide qui prévaut, le film est un échec commercial. Chaplin ne plaît pas autant que Charlot. En 1947, le FBI lance une enquête officielle à son encontre, et certains demandent son expulsion. En 1952, quand il présente à Londres son film le plus autobiographique, "Les Feux de la rampe", son sourire est crispé. Charlie Chaplin vient d'apprendre l'annulation de son visa de retour par le procureur général des Etats-Unis, James McGranery.

Que je revienne ou non dans ce triste pays avait peu d'importance pour moi. J'aurais voulu leur dire que plus tôt je serais débarrassé de cette atmosphère haineuse, mieux je serais, que j'étais fatigué des insultes et de l'arrogance morale de l'Amérique.

Charlie Chaplin dans son autobiographie "Histoire de ma vie"

Sa chute de popularité aux Etats-Unis est sans précédent. Il faudra attendre les années 60 pour que ses films retrouvent grâce aux yeux du public et 1972 pour qu'Hollywood se fasse pardonner en lui décernant un Oscar d'honneur. La standing ovation dure douze minutes, c'est la plus longue de l'histoire de l'Académie. Chaplin n'avait plus foulé le sol américain depuis 21 ans.

Marie-Claude Martin

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