Pedro Almodóvar est Espagnol. Pas seulement de passeport. Il est tout entier de cette terre, de cette culture et de cette langue rapide et accidentée qui donne l'impression que tout est dramatique. Goya, Miró et Picasso sont ses compatriotes. Il a, comme eux, le sens de la narration, de la couleur et de la composition/décompostion.
Né en 1949, il passe son enfance en Estrémadure, une des régions les plus pauvres d'Espagne. Son père est muletier, sa mère, une des seules à savoir lire et écrire. Il grandit entouré de femmes.
Après des études chez les frères Salésiens où il est bon élève mais qui restent un très mauvais souvenir, Almodóvar monte à Madrid à 17 ans. Pour payer ses factures, il travaille à la Compagnie Nationale du Téléphone; le reste du temps, il écrit des scénarios, fait des BD, chante du queer-punk dans les cabarets underground et hante les salles obscures.
Entre 1974 et 1979, il réalise plusieurs super 8 aux titres évocateurs comme "La Chute de Sodome" ou "Baise, baise-moi Tim". Pedro Almodóvar n'a pas attendu la mort de Franco en 1975 pour devenir le chantre d'une contre-culture contestataire et encore illégale qui, dès les années 80, s'institutionnalise en prenant le nom de Movida, un mouvement qui s'illustre par la libération des moeurs, l'exubérance et la vitalité.
"Pepi, Luci, Bom et les autres filles du quartier" (1980), prévu comme un court métrage mais qui s'est allongé au fil des contributions bénévoles, est à ce titre un feu d'artifice post-franquiste. Tout ce qui était interdit devient libre de droits. C'est provocant, de mauvais goût, trash mais toujours drôle.
Les trois films qui suivront vont dans le même sens. "Le labyrinthe des passions" (1982) met en scène une nymphomane fille de gynécologue et un héritier à la recherche d'une aventure homosexuelle; "Dans les ténèbres" (1983) raconte un couvent en folie où circule drogue, sexe débridé et un tigre sauvage; "Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça?" (1984) raconte la révolte d'une femme au foyer sous amphétamine.
Ses films de jeunesse contiennent déjà ce qui fera sa signature: des affiches et des génériques originaux, une sympathie profonde pour les personnages de la marge et un plaisir insatiable à tricoter des intrigues abracadabrantesques. Dans le Panthéon de l'Espagnol, Carmen Maura, première actrice à avoir incarné un homme qui devient une femme, règne alors en déesse transformiste.
Je ne défends peut-être pas la morale traditionnelle, mais mes personnages obéissent à une éthique privée qui les pousse vers leur destin et leur accomplissement individuel. J'aime parler de la façon dont un individu se libère des règles d'une société. C'est pourquoi mes personnages sont souvent des femmes, des marginaux."
La première période almodovarienne s'achève avec "Matador" (1986) et "La loi du désir" (1987), deux films aboutis esthétiquement, notamment dans sa gamme chromatique, qui laissent apparaître la fibre tragique du cinéaste.