Almodovar et le Festival de Cannes, c’est une suite de rendez-vous manqués. Ses premiers films, liés à la Movida, sont colorés, excessifs, exubérants, loufoques, briseurs de tabous. Pour sa première sélection cannoise, on l'attend alors avec un film iconoclaste, une comédie à ressorts ou un thriller hystérique, et c'est "Tout sur ma mère", un splendide mélodrame.
Même malentendu avec "La Mauvaise éducation". Almodovar, connu pour être le cinéaste des femmes et chanter leur gloire, y raconte de manière presqu'austère une histoire de garçons et d'hommes. Encore une fois, le cinéaste espagnol prend les gens à rebours. Comme pour "La Peau que j’habite", film fantastique, ou "Julieta", tragédie grecque d'une infinie douceur. Almodovar a toujours un coup d’avance, ou de retard. En tout cas, il ne correspond pas aux attentes du jury.
Trop queer
Almodovar ne s'en est jamais caché: son inspiration, il la doit aux femmes de son village qui ne cessaient de raconter des histoires et aux actrices auxquelles il s'identifiait enfant. Dans ses films, les femmes sont amour, fantaisie, courage, audace, sacrifice. Les hommes, en revanche, sont peu glorieux - amant lâche, mari violent, père absent, prêtre pédophile, pervers ou défaillants - sauf les transexuels, belles figures positives. Admettons que le queer n'est pas du goût de tous.
Trop identifiable
Almodovar, c’est un label, une marque, une griffe. On dit "le dernier Almodovar", comme on dit le "dernier Godard" ou Woody Allen. Il est l’homme d’une œuvre. Du coup, pourquoi primer ce film plutôt qu’un autre? A ces cinéastes-là, on finit par donner une Palme....d'honneur.
Trop aimé
Boudé du jury, Almodovar est adoré du public et des médias, qui crient à la Palme chaque fois qu'il présente un film. Cette pression populaire peut se révéler contre-productive, le jury ayant l’impression d’être pris en otage par l’opinion. Au fond, Almodovar souffre de l’amour que le public lui porte.
Avec "Douleur et Gloire", son dernier film et sa septième sélection en compétition, échappera-t-il à la malédiction?
En grand partie autobiographique, c’est un "film-somme" qui reprend les thèmes et motifs de ses films précédents. Ses personnages masculins sont beaux, apaisés, son écriture très raffinée et sa mise en scène, brillante. Oui, il a le profil de la récompense. Mais chut!
Marie-Claude Martin/Miruna Coca-Cozma